le dogme était en jeu. Abélard ne put sauver sa position que par le distinguo du conceptualisme, et sa déplorable fin fut jugée châtiment du Ciel.
Plus tard, pour se moquer des réalistes, après avoir été des leurs, Occam s’amusait à dire : « Ne créons pas plus d’êtres qu’il n’est nécessaire ». On en avait créé autant qu’on avait pu. On continue encore — syncrétisés en un Dominateur unique, qui ne fait qu’assumer toutes les responsabilités de l’univers pour s’en décharger allègrement sur nous.
Y a-t-il, enfin, un plus bel exemple d’abstraction divinisée que le culte laïque de la Déesse Raison, célébré à Notre-Dame par de puérils « révolutionnaires » qui, prétendant bouleverser de fond en comble la vie mentale du genre humain, n’avaient rien trouvé de miens, pour faire pièce à l’Être suprême de Robespierre, que de diviniser une faculté de l’intelligence, c’est-à-dire un état organique de l’homme, sous la figure d’une Déesse plus proche de l’humanité : la Raison[1]. Fut-il jamais tel aveu d’impuissance de « révolutionnaires » à qui la faillite de l’ancien régime avait imposé le devoir de réviser leurs propres conceptions pour se faire une nouvelle destinée ? Seizième et dix-huitième siècles avaient dûment préparé le labeur. D’un terrible fracas de paroles, que vit-on sortir ? Une métaphysique révolutionnaire, une métapolitique à blanc. Des principes divinisés, sans que personne s’enquît si le problème n’était pas moins de les proclamer que de savoir comment l’homme se trouvait en état de se les assimiler pour une pratique ultérieure. Liberté, Égalité, Fraternité !
Pour la révolution totale de l’humanité présente et future, la Déesse Raison faisait simplement reparaître les anciennes visions d’apparences où notre trop faillible faculté de connaître s’était laissé dévoyer. Dans l’espérance de nouveaux chemins on revenait bruyamment à l’ancienne impasse d’une idéologie sans substratum profond. Trop significative leçon ! Les hommes qui se
- ↑ Tout le monde a signalé le conservatisme profond du révolutionnaire inculte qui ne peut rien voir au delà d’un changement de noms ou de personnage. C’est le mot du Romain de Shakespeare : « Brutus a tué César, faisons Brutus César ». Et Brutus succomba pour avoir cru que son coup de poignard suffirait pour rendre la liberté au peuple romain qui accomplirait, de lui-même, sa propre révolution, tandis que la plèbe obnubilée ne voyait rien qui pût l’intéresser au delà d’un simple changement de maître.