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AU SOIR DE LA PENSÉE

nous prendre à des chaînons d’activités ambiantes qui sont peut-être des volontés ?

Des volontés ! La foule a dressé l’oreille. Ce qu’elle ne peut démêler encore dans l’impénétrable confusion du monde, comment l’expliquer plus simplement que par des jeux de volontés semblables à celle d’où procèdent les déterminations de sa personnalité. Pourquoi l’univers, aussi bien que l’homme lui-même, ne serait-il pas simplement une succession de volontés supérieures ? Par là, l’homme et le monde se trouveraient compris avant d’être observés. Quelle heureuse fortune d’un Inconnu dont les activités personnelles seraient en correspondance de réactions avec les nôtres pour donner un sens à tous événements, quoi qu’il pût arriver !

Ainsi, ce que nous connaîtrions le moins serait ce que nous comprendrions le mieux ? Bloc unitaire ou dispersion de puissances : peut-être distinguera-t-on quelque jour. La plus forte et la plus sûre perception du moi est d’un établissement humain de volonté. Ne faut-il pas qu’il en soit ainsi des mouvements du dehors, qui s’accordent ou s’opposent, comme nous-mêmes, suivant des déterminations inconnues ? Éblouissante simplicité ! La voix que nous attendions des choses serait venue de nous-mêmes. Volonté du dedans, volonté du dehors. Comme l’herbe au vent, la condition du moindre est de plier. De leurs feux, de leurs foudres, les décrets de la voûte lumineuse se font obéir. Qui nous voudrait tenter d’un flambeau de contrôle reste dans sa fumée. Toutes questions sont résolues avant d’être posées. À l’heure ou s’annonçait la mise en route, le périple de la connaissance se trouve achevé.

Faut-il le supplément d’un témoignage irrécusable ? Rappelez-vous qu’un jour, on ne sait quand, on ne sait où, une voix fut entendue qui disait : « De l’arbre de la science du bien et du mal, tu ne mangeras point, car tu mourras de mort si tu en as mangé. » Mais l’homme n’obéit pas : l’histoire en est connue. Et depuis ce temps, la méconnaissance illuminée eut pour tâche de réprimer les révoltes des tentatives de connaître, bafouées par les hommes et par les éléments divinisés. Ainsi, les puissantes animations d’inconnu, solidement ancrées dans les brumes primitives, ont gardé le culte de la foule tâtonnante sous la puissance des paroles d’autorité.