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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/133

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AU SOIR DE LA PENSÉE

En des âges indéterminés, le ciel et ses astres imposèrent leur suprématie. Activité motrice de la mécanique mondiale, éblouissante dispensation de tous les mouvements de la vie, source profonde du groupement familial en permanence par lequel l’homme se trouve promu de la sauvagerie aux premières douceurs d’une civilisation commençante, le soleil n’avait eu qu’à paraître pour que la majesté de sa maîtrise commandât spontanément l’élan d’admiration qui deviendra rite de gratitude ou d’imploration.

« Depuis des siècles, clame le Prométhée d’Eschyle, les hommes vivaient comme les fantômes des songes ». Le feu du ciel, présent du Titan révolté, a fait vraiment une humanité nouvelle, en des âges dont Lucrèce, après le grand tragique, nous a laissé un émouvant tableau. Ce fut un éblouissement de merveilles dont l’émotion ne s’est pas dissipée. Qu’en dire lorsque le Dieu (qui avait lu les grands philosophes de la Grèce), anticipant sur l’évolution à venir, annonça qu’il allait guérir les hommes de la terreur du trépas, « en faisant habiter dans leur âme d’aveugles espérances. » Elles sont venues, avec de nouveaux cultes, les aveugles espérances d’un devenir inconnu. Devant les achèvements de la connaissance même, elles se sont déjà transformées, pour nous guérir des terreurs du trépas, en développant les aspirations supérieures de l’homme en évolution.

Quoi qu’il en soit, la conquête du foyer, émanation du soleil, a laissé des souvenirs si vivement gravés au plus profond des âmes, que la célébration du grand miracle s’en est partout perpétuée. Le Rig-Véda est un retentissant concert de grâces à Agni (ignis, le feu). Aujourd’hui encore, nos églises allument consciencieusement leurs cierges sans prendre garde qu’elles continuent le culte « païen » du Titan Prométhée, personnification du bois dur, pénétrant (Pramantha, le Prévoyant) au cœur du bois tendre (Arani), d’où jaillit l’étincelle sacrée. Les fidèles, sans doute, n’ont point cette pensée. Cependant, que font là leurs lumières, leurs feux de la Saint-Jean, au solstice d’été, puisque ni jahveh, ni Jésus n’ont parlé de la découverte du feu ?

Les Parsis de Bombay — derniers vestiges de l’Iran Zoroastrien — ont conservé ce qu’ils ont pu de la grande religion persane du soleil. Ces « adorateurs du feu » n’adorent plus le feu, ni même le soleil, directement. À Ormuzd, créateur du