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LES DIEUX, LES LOIS

Dans la nuit d’une impossible chronologie, nous ne voyons pas même un commencement de formes aux Dieux de nos pierres levées bégayant on ne sait quoi aux dalles de Gavr’innis dont les lignes ondulées sont peut-être une représentation de l’Océan voisin. Le premier des symboles ? Pourquoi pas ? Plus tard, nous aurons d’informes ébauches d’une figure humaine, ou même ces déconcertants personnages de l’île de Pâques, nés, dirait-on, d’un effort impuissant de la pierre à s’humaniser. Une histoire dont toutes les données nous échappent sans recours.

Il serait vain d’attendre la méthodique ordonnance d’une continuité de développement, toujours escomptée, mais dont l’humanité ne se presse pas de nous offrir le modèle. Dès ce jour, l’homme est « divers » et même contradictoire, non seulement de l’un à l’autre exemplaire, mais encore dans les évolutions d’ethnicités. Ainsi le commande la confusion d’hérédités inextricables qui, selon l’heure et les chances, trouveront des voies où se manifester. L’apparente unité du « Moi » fugace est une de ces primitives sensations dont nous ne pouvons nous déprendre au cours d’une vie sociale qui veut au moins des apparences de provisoire fixité. Nous ne sommes pas démunis, pour cela, d’une implacable puissance d’analyse par laquelle notre intangible droit lui-même se résout en une force de domination. Point de peine à comprendre que le grand phénomène de la vie grégaire emporte de contradictoires postulats.

Aux cavernes quaternaires, la sociabilité du début ne se manifeste encore que par des traces de cérémonies où sont figures des essais de gravures et de peintures représentant des mouvements mythiques dont l’effet fut peut-être d’aider l’homme en ses efforts de vivre, non sans l’avoir souvent déçu. Tour à tour, les deux effets se succéderont, selon les chances, nous laissant éclairés d’une lumière d’espérance qui ne s’éteindra qu’avec la vie. Histoire des illusions cultuelles, comme de toutes les autres. Le guide qui trompe le voyageur sur la longueur de la route à parcourir peut ainsi venir en aide à sa faiblesse. Serait-ce trop présumer de l’homme actuel que d’escompter le jour où il n’aurait plus besoin d’être trompé ?

    une harangue à laquelle j’ai dû répondre dans la même langue, parce que, autrement, les élèves ne nous auraient pas compris.