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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/172

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LES DIEUX, LES LOIS

Je ne dis rien de la fameuse « exemplarité » qui va directement à l’envers de l’effet qu’on se propose puisqu’elle aboutit à l’éternel spectacle de l’intérêt satisfait ou contenu. L’attribution d’un signe dit honorifique ou d’une peine afflictive met surtout en relief l’appât des influences, des faveurs, c’est-à-dire des injustices, avec l’ennui de n’en pouvoir toujours suffisamment disposer. Une leçon d’équilibre moral toute contraire à celle qu’on se plaît si hautement à proclamer. Et pour les récompenses et punitions divines, qu’on ne me dise pas qu’il n’est point de faveurs auprès du Tout-Puissant, puisque nos sous-Divinités, depuis la Vierge-Mère jusqu’aux saints — soutenus d’un sacerdoce dont c’est l’unique emploi — n’ont d’autre office sur la terre que d’influencer partialement, comme chez les humains, la distribution finale des joies et des peines d’éternité. En ce sens, la prière est un outrage à la justice absolue de la Divinité.

En faut-il donc conclure que l’évolution morale de l’homme est pure vanité ? je suis bien loin de le prétendre. Toutes nos écritures d’histoire ont au moins ce résultat de nous faire constater des accroissements de connaissance expérimentale qui doivent, à travers maints détours d’émotivités, produire lentement des améliorations de moralité. Chacun voit, cependant, que les deux cycles ne sont pas de même rayon, et que l’évolution mentale (déjà si tardive) et l’évolution morale (qui demande souvent les plus pénibles rétablissements d’énergie) ne vont point toujours du même pas. Sans la connaissance accrue point de vertu grandissante, puisqu’il faut d’abord pouvoir déterminer dans quelles directions nos activités organiques peuvent et doivent s’exercer. Mais si l’on prétend vivre d’autre chose que de paroles, à quoi bon se masquer d’une morale d’apparences trop nettement démenties par les réalités ? Hélas ! je vois trop bien que, pour duper autrui, nous commençons par nous duper nous-mêmes, et que là gît le principal obstacle sur l’âpre voie de nos méprises terrestres. Le temps nous presse dans les incohérences de notre courte vie.

Pourquoi ne pas nous construire nous-mêmes d’idéalisme et de positivité, puisque la fortune des choses nous en fait la loi ? Œuvre de fragilité, sans doute, dans le temps d’un éclair — grande et belle, pourtant, par la qualité de l’effort. Et qu’est-ce qu’y