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DANS LE MOMENT QUI FUIT…

jour en des conflits où l’imagination et l’observation se disputent encore le champ de la connaissance humaine. Les annales des angoissantes oppositions qui ne finiront pas, font l’histoire, enchanteresse et cruelle, du drame de notre pensée. Emportés par le torrent des choses, la recherche devait nous tenter d’un point d’arrêt schématique d’où nous puissions embrasser l’univers. C’est la commune prétention des religions et des philosophies, justifiées en ce qu’elles attestent un effort de mentalité ordonnée, erronées dès qu’elles prétendent dogmatiquement fixer pour jamais des mouvements de compréhensions insuffisamment fondées.

Sur les rapports du Cosmos infini et de l’homme qui en est le produit éphémère, les plus grands esprits nous ont successivement offert, non sans de graves périls, toutes les thèses d’imagination. Il semble bien que tout ait été dit de ce qui pouvait se dire sur des questions sommairement résolues par la magie des mots. Voici, cependant, qu’après des millénaires, dont le nombre est indifférent, notre fortune enfin se renouvelle par une distinction fondamentale à établir entre le rêve et la pensée, entre les élans d’une imagination sans frein et le déterminisme expérimental d’un classement de rapports selon la loi de causalité.

C’est le problème des temps modernes. Quand les anciens philosophes de l’Inde nous apportaient des vues de philosophie que nous n’avons pas dépassées, ils annonçaient de confiance, ils prophétisaient, faute de pouvoir dire d’expérience. Ainsi fit l’hellénisme romain de Lucrèce, cherchant « la nature des choses », en d’audacieux enchaînements d’observations anticipées.

Ce qu’ont donné, sous le nom général de « sciences », dans les temps modernes, les acquisitions de connaissance expérimentalement vérifiée, a dépassé toutes les prévisions. En sommes-nous au point de les pouvoir confronter, contrôler les unes par les autres, pour en faire apparaître les premiers linéaments d’un tout harmonieux ? C’est la question que j’essaye de résoudre par des successions d’exposés sommaires dûment coordonnés.

L’idée d’une somme de connaissances remonte aux premières généralisations de pensées. Pourquoi ces généralisations se sont-elles indéfiniment multipliées dans tous les pays, dans tous les