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LES DIEUX, LES LOIS

pût venir à sa signification d’aujourd’hui ! Inductions, déductions de tout ordre, le seul lien apparent des phénomènes fut alors raisonnement, et que sert-il de raisonner seulement, c’est-à-dire de vouloir ordonner les choses en dehors des repères de l’observation incessamment confirmée ?

Eh bien, le Cosmos qui nous est offert par le poète d’observation anticipée se trouve d’un incomparable effort de positivité au-dessus de Manou, de Moïse ou de tout autres généralisateurs des apparences de constatations. La rigoureuse observation scientifique n’étant pas encore apparue, il a fallu se contenter de coordonner, par les jalons d’une expérience hâtive, des alignements ayant accès à d’hypothétiques interprétations. Ainsi arriva-t-il que notre faculté de rêve put devancer l’observation positive des coordinations de connaissances par la seule puissance d’un redressement automatique d’imagination. Ainsi le verbalisme, hors duquel il n’est point d’enchaînement rigoureux de pensées, reconnaît-il lui-même sa propre insuffisance en s’orientant d’une façon spontanée vers l’étoile fixe de l’observation.

Par ces voies où s’engageront les plus hautes émotivités de l’espèce humaine, à la suite des premières déterminations d’expériences, des vues vont s’enchaîner, depuis nos abstractions personnifiées jusqu’au dépersonnalisations d’énergies par lesquels se pose enfin le problème d’une synthèse cosmique d’objectivité.

Ici, notre affaire est simplement de prendre acte des faits accomplis. La dépersonnalisation de l’impersonnel, fictivement personnifié, suit peu à peu son cours, et les antiques Décrets du Ciel cèdent la place aux Lois de l’observation. La différence est assez puisque les plus grandes batailles de l’homme se sont livrées sur ces deux thèmes, et que beaucoup de faiblesses mentales s’angoissent encore à la seule pensée d’une autre issue que leurs accoutumances héréditaires.

La capitale différences est que les « Décrets du Ciel », les « Volontés divines »[1], ne peuvent nous apparaître que de fusées insaisissables dont nous essayons de fléchir les directions par nos prières

  1. Est-il nécessaire d’observer qu’une volonté sans organe ne peut avoir de sens présentement à nos yeux, et que l’idée d’un organisme cosmique est contradictoire à une conception d’infinité ?