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AU SOIR DE LA PENSÉE

pera organiquement, chez l’infusoire, les premières précisions de l’organe visuel. Il paraît manifeste que la gymnastique (lamarckiernne) de la sensation ait dû conduire au perfectionnement de l’organe. À quel moment ce phénomène est-il intervenu ? De tout temps ou jamais, car l’évolution, adéquate à l’existence même, ne se laisse point couper, chemin faisant. Si loin que nous remontions aux sources du phénomène, nous y trouverons toujours des antécédences où s’arrêtera notre puissance de pénétration. Tout ce que j’en puis dire aujourd’hui, c’est que l’observation, en d’autres termes l’effort d’une sensation précisée, vaudra selon les déterminations objectives de rapports à conjuguer. Pour aborder pertinemment, en quelque point, le phénomène infini, je n’ai d’autre outil que des confirmations successives de l’expérience vérifiée.

« Les mathématiques étant mises à part, nous dit M. Th. Ribot[1], toutes les sciences de faits, de l’astronomie a la sociologie, supposent trois moments : observer, conjecturer, vérifier. Le premier dépend des sens externes et internes, le second de l’imagination créatrice, le troisième des opérations rationnelles, quoique l’imagination n’en soit pas exclue. » Ces paroles sont à retenir, car, avec les processus des acquisitions individuelles de la connaissance, on déterminera l’enchaînement des paliers ordonnés de l’évolution générale de l’esprit humain. J’en prends acte dès à présent. Les annales de l’homme pensant ne tarderont pas à nous montrer que de cette procédure même est née l’aberration métaphysique qui se contente, pour fondement de connaissance, d’un verbalisme insaisissable au delà de tout essai de vérification. Ce mot d'imagination créatrice me paraît, en effet, singulièrement propre, comme l’ultérieure évolution créatrice de M. Bergson, à dénaturer les données objectives du problème. Maintenir dans la science ou dans la métaphysique le mot de création, au sens de la Bible, ne peut que nous ramener à des conceptions périmées. Et si l’on prétend l’employer dans un autre sens, peut-être vaudrait-il mieux recourir à un autre terme[2].

  1. L’Imagination créatrice.
  2. Pour préciser, M. Th. Ribot nous annonce qu’il va « rechercher les conditions fondamentales de l’imagination créatrice, et montrer qu’elle a son origine et sa source principale dans la tendance naturelle des images à s’objectiver — plus simplement dans les éléments moteurs inhérents à l’image — puis de