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AU SOIR DE LA PENSÉE

connais- du monde. Mais s’il prétend le connaître d’emblée, ignorant qu’il aura besoin d’une longue suite de labeurs pour entrer seulement dans les voies de l’observation ordonnée, comment pourrait-il déterminer d’abord une méthode d’investigation dont il n’a pas les éléments et dont il ne sent pas le besoin ? Redoutable entreprise où l’univers l’engage dès la première rencontre pour des accumulations de mécomptes, au travers desquels la pioche du bon mineur pourra heurter, de temps à autre, des pépites de vérité.

Aux difficultés du connaître vont s’ajouter ainsi tous les périls’ du méconnaître, d’autant plus redoutables que, si la connaissance a des parties d’incertitude, la méconnaissance s’installe de prime abord dans l’absolu, dont la domination répond trop aisément aux défaillances de notre relativité. Enfin, tandis que notre « vérité » d’expérience est purement impersonnelle, il y a trop de nos propres faiblesses dans l’erreur pour que nous ne nous y sentions pas sensitivement attachés. D’où ces luttes impitoyables qui ensanglanteront la terre pour « des hypothèses d’hypothèses », tandis que l’idée ne pourra venir à personne d’allumer des bûchers en vue de réprimer telle ou telle doctrine des combinaisons de l’oxygène, par exemple, où la droite compréhension de l’univers et de l’homme se trouve, cependant, impliquée.

Gardez-vous donc de noter comme une simple méprise éphémère, l’aberration fondamentale qui nous fait mesurer l’univers à nos moyens du jour. L’apparente « nature des choses » nous tente d’impasses où l’évolution de la connaissance ne nous permet pas de persévérer. Comment pourraient hésiter les esprits simples, en ces détours, quand on ne leur propose que les âpres labeurs d’une « certitude » provisoire, alors que des siècles de présomptueuse nescience leur offrent, magnifiquement un dogme immuable, à leur mesure, soutenu des pompes d’un sacerdoce infaillible, aux postes d’universelle autorité ?

Comparez avec l’obscur savant qui, sans cierges, sans orgues, sans chants, sans suisses chamarrés, sans cérémonies, ose se mesurer avec les problèmes du monde sous l’œil de l’Inquisition, réduite, par le malheur des temps, à la modeste figure de notre moderne congrégation de l’Index. Le malheureux demeure en corps à corps avec les mystères du monde plus difficiles à pénétrer que les arcanes de la théologie, cependant qu’une métaphy-