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CONNAÎTRE

sen- des figures, supposées objectives, de subjectivités. Il suffit pour cela de la plus superficielle « observation », toute l’affaire n’étant que d’en interpréter fictivement les données. Observer est toujours une construction d’images, mais d’images dont les contours s’attachent aux notations de notre sensibilité. D’où l’effort décisif sera de regarder, de contempler. L’Inde n’hésita pas à assimiler le regard à la connaissance. La racine sanscrite Vid (retrouvée dans le latin videre, voir) donne vidya, connaissance, d’où avidya, l’ignorance par le secours de l’a privatif. Contempler, observer seraient alors d’équivalence : c’est par ouvrir les yeux qu’il faut commencer.

Oui, mais le résultat de cette contemplation ? Divers l’observateur, diverses les interprétations, car, dans la voie même des formules positives, ce sont des apparences qui nous frapperont d’abord. Tel le bâton brisé dans l’eau, à redresser d’expérience. C’est l’observation continue qui fera le contrôle de l’observation momentanée. Moins prompte a corriger ses libres initiatives trouverons-nous l’imagination. Les entités de la métaphysique qui peuplent le monde d’existences sans autre réalité que le son de voix qui les exprime, n’ont pas la vie moins obstinée que le dogme des théologies. Elles sont même plus persistantes, ayant dépouillé l’appareil mal dégrossi des premiers jours, pour y substituer des raffinements de pédagogique subtilité.

Si l’on va tout au fond du besoin de métaphysiquer inhérent à beaucoup d’ingénuités supérieures, on y trouve l’effet du contraste de la personnalité humaine avec l’impersonnalité nécessaire de l’univers infini. C’est ce qui fait la spontanéité de la confiance primitive accordée aux mystères des théologiens dont la métaphysique n’est qu’un raffinement d’anémie. La théologie, au moins, se fonde sur « l’autorité divine ». La métaphysique est en l’air[1]. Nous ne pouvons que l’y laisser.

  1. Pour s’accommoder, vaille que vaille, aux données de l’expérience, M. Bergson, rénovateur de la métaphysique, en est réduit à chanter l’évolution avec un entrain de fossoyeur.