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CONNAÎTRE

La subconnaissance primitive, la simple « connaissance » animale, évoluant à travers les âges, ballottée des incohérences de l’observation incertaine à l’imagination qui jette ses chances au vol des voix articulées, s’abandonnera plus volontiers au retentissement émotif des poèmes rudimentaires qu’à la morne prose des vérifications. Théologies et métaphysiques clameront d’abord qu’elles ont trouvé. L’homme qui veut connaître saura qu’il ne peut épuiser le stock des éventuelles trouvailles, et qu’il n’est de sûre voie qu’à chercher, sans arrêt. Ce qui condamne la théologie, c’est qu’elle prétend avoir le dernier mot de l’esprit humain.

Faire le point.

De la nuit au jour, de l’homme qui ne connaît pas, ou qui méconnaît, à l’homme qui est en voie de connaître, l’écart est incommensurable ! Être ou n’être pas ! Demeurer sans forme et sans voix devant le roc impénétrable qui ne veut pas s’ouvrir, ou tenir en main la clef magique des mystères. La bête ou l’ange, de Pascal. Être mort ou vivant. Renoncer à l’action faute d’en connaître l’accès, ou se mettre résolument en marche vers le fantôme d’inconnu qui fuit à l’horizon. Qui ignore ne peut. Qui sait a la puissance. Cependant, si nous voulons prendre la juste mesure de notre connaissance, il ne faut pas plus nous en éblouir que la dédaigner. Connaître assez du monde et de soi-même pour ordonner ses pensées, régler ses émotions, déterminer droitement ses activités personnelles et apporter son juste concours aux activités sociales d’un altruisme harmonieux, cela ne peut s’obtenir de celui qui se sent perdu sur sa terre, tandis que le pèlerin qui a frayé ses voies pourra s’avancer, confiant, dans le sentier heureux.

J’ai dit pourra parce que l’action demande, avec les moyens nécessaires, le déclenchement de la volonté. La connaissance pourra concourir puissamment à la détermination des caractères, mais ne décidera pas de l’action sans le concours irrésistible des émotivités. Jeanne d’Arc, ignorante, atteint aux subli-