Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
CONNAÎTRE

capable de sentir, de savoir, de vouloir et de faire, nous nous demanderions gravement si ces dons ne sont pas payés d’excessives contre-parties, alors que cette fugacité même où nous mettons nos peurs, est la plus sûre compensation de tous les maux de la vie. Et ces merveilleux privilèges de la connaissance et du rêve confondus seraient pour nous un texte de plaintes ! Ne donnons pas la comédie aux Dieux morts, trop heureux de cette revanche sur notre humanité.

Sans doute, dans l’autre plateau de la balance, il y a le contrepoids des maux qu’une savante théodicée emploie tous ses sophismes à concilier avec « l’éternelle bonté ». Il serait superflu d’en vouloir prendre la mesure, tant à cause du nombre qu’en raison des différences qualitatives selon nos réactions de sensibilité. Quels qu’ils soient, toute l’affaire est de savoir si nous sommes capables d’en établir une balance. En ce cas, pourrions- nous nous féliciter de l’activité grandiose où les aiguillons du Cosmos nous ont si vivement engagés.

La mécanique céleste n’est pas sans inconnues, partant sans chances de surprises. Le commencement de notre terre en implique la fin. Le soleil s’éteindra. D’autres s’allumeront… Parfois la mer renonce à la sérénité des astres pour les affres de la tempête. Des volcans se plaisent aux catastrophes des cités. Tour à tour, des puissances de la nature s’insurgent contre l’espèce humaine, après l’avoir servie. Et, sans attendre que les fureurs de la planète soient éteintes, l’homme, implacable, se dressera contre son congénère pour des luttes d’ambitions, de passions, d’intérêts, suscitées par un état de nature dont le mieux qu’on puisse dire est qu’il se découvre imparfait.

Compensez toutes choses, et dites si vous pouvez concevoir une plus belle issue du torrent d’émotions bouillonnantes qu’une paix étale de silence dans la nuit d’un sommeil sans rêves et sans réveil. Quelle démence d’un bonheur de passive éternité sans labeur et sans peine, comme si nous pouvions être autrement que de douleurs et de joies compensées dans les fortunes mouvantes de l’effort. La mort, simple transposition des puissances de vivre, nous rend à l’équilibre changeant des impassibilités élémentaires en suite des chocs de sensibilité dont les liaisons de plaisirs et de souffrances commandent le repos à venir. La mort d’apaisement, qui ne paraît redoutable que par l’enfantine