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AU SOIR DE LA PENSÉE

avec sa mer pantelante au brasier solaire ou débordant d’insondables fureurs, que nous veulent ces contrastes des choses ? Initiation brutale au jeu des énergies dont nous sommes le jouet ? Extase aux magnificences des spectacles jadis créateurs d’épouvante, aujourd’hui maîtres des cimes de l’émerveillement ?

S’extasier, c’est bien. Pas assez. Il faut essayer de connaître le monde pour en savourer tout le fruit, aborder les éléments fabricateurs de vie dans l’engrenage sans arrêt des formations et des destructions enchaînées, pour la vanité de nos plaintes et l’épanouissement de nos joies.

Tels quels, les mouvements de la vie humaine demeurent le chef-d’œuvre de ce qui nous apparaît, ouvrant le même champ d’extase, selon une parole fameuse, à qui l’exalte ou le rabaisse. Bientôt même, de puissantes généralisations voudront se couronner de hauts vols d’idéal, et rêver sera encore une forme d’apprendre si notre audace ne s’allège pas d’un trop périlleux dédain de la positivité des rapports. Enfin, qui sait s’il ne se peut pas substituer à la morne récompense du Nirvana bouddhique la superbe flambée d’héroïsme invincible qui, pour une heure, affronte l’infini du temps et de l’espace dans le sacrifice de la créature humaine à un idéal de beauté.

Ainsi hanté de questions impérieuses et de flottantes réponses, vais-je parfois m’approvisionner de silence aux enchantements de la grande forêt de chênes verts, chargés de siècles, que l’océan jaloux a su garder des rencontres vulgaires. Dans la douce lumière grenue, tamisée aux épines des petites feuilles crispées, une fine pluie de lumière caresse les troncs fantômes arc-boutant des bras noueux en des élans de révolte ou de grâce ingénue. Le charme d’un orient de perle dilué sous l’entrelacs des jeunes clairières, tandis que des fusées de toutes les blancheurs achèvent, aux lointaines dentelles des vagues, parmi des trouées de soleil, la violente avenue sauvagement charpentée. De timides vallées s’enfuient sous les fougères, éclairant d’une vie neuve le fauve tapis des pins aux fûts d’écailles violacées. Tout un monde sans geste et sans voix, dans l’attente du drame humain que le spectacle des choses propose aux caprices du rêveur.

Car, le décor commande l’action scénique par la puissance d’évocation du cadre approprié. Voyez ce carrefour. La reine Mab a