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COSMOGONIES

de ces grands combats pieusement recueillis par d’innocentes inintelligences qui prétendront nous les imposer comme le Saint des Saints de la connaissance !

De ce jour, cependant, la scène change. L’observation surgit, redoutable moins par des conclusions, qui seraient prématurées, que parce qu’elle apporte des incohérences de contradictions à résoudre. Qu’importe que la « Révélation », menacée, en vienne à se donner pour « infaillible » si l’impassible expérience s’y oppose irrésistiblement ? Quelles incalculables sommes de défaillances et de succès se seront trouvées requises pour débroussailler la jungle des premières confusions de sensibilités !

Longtemps nous a-t-on chanté la merveille théâtrale d’une « Révélation divine », en poétique contraste avec les incertitudes de connaissances, péniblement obtenues, de méconnaissances enchevêtrées. Aujourd’hui, cependant, beaucoup commencent à se demander si l’issue n’est pas plus belle d’une victoire longtemps balancée, et conquise à force d’héroïsme contre les résistances du Cosmos, que la facile attribution d’une connaissance « révélée » sans la mise en œuvre d’un effort d’humaine volonté. Que d’âges d’impuissance pour découvrir qu’il n’y a dans l’homme, de beauté supérieure, que par la continuité d’une évolution organique à laquelle sa fonction individuelle est de collaborer.

La « Révélation », qui nous est aujourd’hui donnée pour immuable et définitive, puisque de vérité absolue, se trouve, en fait, multiple et passagère au suprême degré. Car chaque groupement ethnique ou familial s’efforce de conserver la sienne, exclusive de toute autre, avec ce trait particulier qu’il ne peut être, à aucun moment, question d’une preuve décisive et que la force seule, en conséquence, peut arbitrer. Le poète, la famille, la tribu, ont leur « Révélation » particulière, dont beaucoup se sont fondues aux hasards des invasions, des guerres, où, avec le sort des hommes, le sort des Dieux s’est décidé. Si bien que la « Révélation » de chaque peuple, telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous, ne forme plus qu’un hétéroclite mélange de Révélations antérieures, c’est-à-dire de traditions et de légendes déformées en des âges où nul fil d’observation positive ne pouvait être retenu.

Cosmogonies de rêves, inférences d’imagination. Cosmogonies positives, obtenues en remontant le cours des enchaînements d’activités reconnues, c’est-à-dire inférences d’évolutions véri-