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AU SOIR DE LA PENSÉE

donnés d’une recherche du monde à des formules de primesaut qui avaient besoin de siècles pour les tardives rigueurs de la vérification. Combien de millénaires pour amener la stupeur de l’éveil aux premiers bouillonnements d’interrogations grosses d’une splendeur d’émerveillements !

C’est dans la confusion de tout que se sont livrés les premiers combats de l’esprit humain aux prises avec cette nuit d’inconnu où se débattait Ajax, furieux d’égarer ses coups. Au moins, le héros d’Homère avait-il la sensation des violences perdues. Le malheur et la joie de nos lointains ancêtres fut d’arriver si tard à une distinction (encore présentement obscurcie) des apparences et de ce que nous pouvons aujourd’hui tenir pour la réalité. Comment connaître, quand l’élan de la question et la primitive réaction de la réponse procèdent d’une même spontanéité d’impuissance commandant une même insécurité de compréhension ? Pour les hautes évolutions mentales dont nous parlons avec un légitime orgueil, il fallait les lentes progressions d’un conditionnement organique dont les activités natives devaient être, pour un long temps, inopérantes, mal différenciées, confondues, dévoyées.

À l’affabulation fantastique des cosmogonies dont les égarements ne sont pas encore épuisés, se joint fatalement un concert de procédures mentales qui nous condamne aux fortunes des aberrations avant d’accéder aux cimes provisoires de notre « vérité ». Une procédure de « Révélation », une procédure mythique, une procédure métaphysique, toutes jaillies du fond de notre intellectualité commençante, longtemps avant la conscience d’une rencontre de positivité. La capitale méprise fut de croire que la puissance d’interroger emportait, du premier bond, une puissance de répondre. Les siècles seuls pouvaient nous apprendre à poser le problème du monde en des termes, conditionnant, pour l’avenir, des éventualités de solution.

Car l’évolution mentale poursuit irrésistiblement son cours, et le jour où nous avons pu nous hausser jusqu’à des formules du problème mondial, d’où devaient procéder des classements de rapports, est une date décisive de notre histoire. Que sont, de ce point de vue, les révélations cosmogoniques de Moïse, dont les sources babyloniennes sont depuis longtemps reconnues ? Elles ont, pour nos constructions positives, la même valeur