aux contes de mes premières années. J’en voyais les personnages vivre, et l’idée d’une distinction entre leur existence fictive et la réalité vivante ne me venait même pas à l’esprit. Peau d’Âne, ou Riche-en-Cautèle et Louis-Philippe me paraissaient sur le même plan d’existence. Pour les esprits puérils, les figures des épopées divines se réalisent encore aujourd’hui d’identique façon. Peut-être étonnerait-on maint habitué des cabinets de lecture en lui apprenant que les Trois Mousquetaires, devenus presque historiques, n’ont jamais existé.
Nous avons sous les yeux l’antre de Zeus, en Crète, l’abri rocheux de Délos (de fabrication humaine)[1] où Léto donna le jour à Artémis et à Apollon, le chemin, qui se divise en trois, où Œdipe tua son père, la Mycène d’Agamemnon, la Tyrinthe d’Héraklès, les palais de Knossos, de Phaistos, l’antre de la Sibylle de Cumes, les roches Hyampées de Delphes d’où Esope fut peut être précipité, le Sinaï de Moïse, le mont Ararat de Noë, la grotte de Bethléem et le Golgotha de jésus, le Roncevaux de Roland avec l’entaille de Durandal au rocher, autant de témoins subsistants de légendes réalisées qui invitent aux thèmes où la froide analyse de notre temps exercerait trop de ravages. La foule ne s’en embarrasse guère. Ces témoignages n’ont de valeur pour elle que par la puissance du rêve qui s’y trouve attaché.
Ce que nous avons d’Homère ne remonte pas à beaucoup plus de trois mille ans. Que dire des âges antérieurs dont il fut l’expression plus ou moins fidèle, sans parler des temps insondables qui avaient précédé ? Si l’homme de la Chapelle- aux-Saints a cinquante mille ans[2], comme le disent quelques-uns, combien de millénaires d’inconnu avant les premières traces d’une humanité accrochant aux rochers de vagues signes d’interprétation où subsistent des lueurs d’inexprimables pensées ?
Ce qui nous manque surtout pour saisir les véritables proportions des choses, c’est un ajustement de nos mètres humains aux proportions des phénomènes. Ne fut-il pas tout naturel de