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AU SOIR DE LA PENSÉE

offensif des Dieux védiques dont le flot, par contre-coup, submergea le sédiment bouddhique, déjà vieux d’un millier d’années.

Des siècles d’une autocratie religieuse, telle qu’il ne s’en est pas rencontré de plus méticuleusement despotique, avaient épuisé jusqu’à l’inertie des peuples de l’Inde plus enclins au rêve qu’à l’action. Vainqueurs de la caste nobiliaire des guerriers (Kshatwyas), les Brahmanes, après une répression qui fit couler le sang à flots, ne pouvaient qu’abuser d’une puissance sans contrôle jusqu’au jour où la révolution les aurait désarmés. Après maints signes précurseurs, la révolution bouddhique se fit jour, mais de philosophie naturelle plus que de réaction politique, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre en d’autres pays.

La métaphysique panthéiste de Kapila eut l’honneur de fournir le thème de cette rénovation. Sans âme, sans Dieu, sans prière, le bouddhisme cherchait sa voie au delà du Véda, codifiant les lois de la transmigration des êtres symbolisée par l’image de la Roue des Choses. Réaction de métaphysique naturaliste, le bouddhisme, après la brillante période de l’empereur Açoka, s’usa par la résistance permanente des vieux mythes sous-jacents, puis s’évanouit au renouveau du panthéon brahmanique soutenu des écritures sacrées si longtemps en sommeil[1].

Pour quelque raison que ce soit, le phénomène religieux de l’Inde ne s’est pas confiné dans l’immense plaine de la mer à l’Himalaya, et du Brahmapoutre à l’Indus. Entre l’Inde et l’Iran, les échanges de pensées remontent aux temps les plus lointains. L’origine iranienne de la plus ancienne écriture indienne paraît établie. À beaucoup d’égards, la Perse et l’Inde sont d’un même développement. Zoroastrisme, de temps plus reculé, jaïnisme, bouddhisme, sont de l’histoire préchrétienne, dont le christianisme, hérésie judaïque, fut le retentissement

  1. Un jour, à Singapour, je demandai à un célèbre Chinois, docteur d’Oxford, pourquoi, lorsque la Chine adopta le bouddhisme, l’ancienne religion et la nouvelle se trouvèrent comme fondues.

    — C’est, me dit-il, que la doctrine cède trop souvent aux accoutumances héréditaires de l’imagination. En bouddhisant nos anciens Dieux, nous avons sauvé la pensée philosophique du Bouddha. Pour n’avoir pas agi de même dans l’Inde, les bouddhistes signèrent l’arrêt de leur défaite inévitable.