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COSMOGONIES

Son jour venu, l’hellénisme nous éblouira d’une floraison de mythes qui n’est dépassée que par l’Inde. Nous sommes encore tout pénétrés de cette luxuriante poésie que le Romain devait anémier jusqu’à l’arrêt de mort venu du christianisme, tandis que Lucrèce essayait tardivement de cadencer ses formules épicuriennes d’observation et de poésie dont la victoire prochaine du mysticisme chrétien ne devait guère s’embarrasser.

Les légendes du Bouddha se comptent par centaines. On en a fait un recueil : les Jatakas. C’est là que vous trouverez l’histoire du Bouddha donnant son corps à la tigresse parce que « ses petits ont faim ». Tout le bouddhisme est dans ces simples récits où s’affirme la solidarité de toutes les existences terrestres, tandis que Jésus s’en tenait seulement à l’amour de l’humanité. Vous y rencontrerez encore la légende de la Madeleine sous les traits d’une riche courtisane qui vient inviter Çakya-Mouni et ses disciples, au repas qu’elle veut donner en son honneur. Le Maître a déjà refusé d’autres invitations. Au grand scandale de ses disciples il accepte celle-ci. Il s’y rend, et au moment de quitter la table, l’hôtesse annonce qu’elle se convertit à la parole du Maître, qu’elle renonce à tous ses biens, laissant son parc à la communauté pour y construire un couvent à ses propres frais. Ainsi se glorifie la noble condescendance du Bouddha envers les faiblesses humaines pour relever toutes créatures de leurs péchés.

Plus haute encore peut-être est la signification morale de la légende du pieux moine qui vient apporter la bonne parole au village, et s’assied sous un arbre pour attendre les auditeurs. Anxieux de la bonne nouvelle, hommes de toutes conditions, femmes, enfants entourent le saint homme qui va les édifier. Cependant, survient un oiseau qui se perche à la cime des branches et se met à chanter. Il chante, il chante sans arrêt et le bon peuple admire, s’extasie. Puis, quand l’oiseau s’envole, le prédicateur se lève et prononce : « Le sermon est prêché ». Alors, chacun de sentir, en effet, qu’il n’est pas d’édification supérieure, puisque au-dessus de l’humain interprète de la nature, il lui fut donné d’entendre la nature elle-même s’exprimant en des douceurs de modulations infinies. Toutes les nuances de l’enchantement des choses à travers tous les développements de la vie. Quoi de plus bienfaisant que l’inexprimable harmonie ou l’être s’abreuve à longs traits des émanations