Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
407
COSMOGONIES

en était déjà bien loin, toutefois, puisque le malheureux Çakya-Mouni s’était vu transformer de simple moine en Divinité. Ainsi les religions s’instituent, se composent et se décomposent au travers du flux et du reflux des méconnaissances enchaînées.

Dès le quatrième siècle, le bouddhisme avait cessé de progresser dans l’Inde. Au cinquième siècle, sous les yeux du Chinois Fa-Hsien, les Brahmanes expulsaient sans ménagements les moines des monastères bouddhistes. Le sang était religieusement répandu. Depuis longtemps, des missions bouddhiques avaient marché à la conquête de la Chine. Des caravanes de moines, fuyant devant les Huns, étaient allés chercher en Extrême-Orient un abri, aussi bien qu’un champ de prédications — emportant avec eux l’art gréco-bouddhique, comme en témoignent les fresques du Turkestan oriental, rappelant celles d’Ajanta, et des sculptures partout rencontrées.

Dans les réactions de retour, les pérégrinations de Hiouen-Thsang à travers le continent indien sont, pour le moine bouddhiste, une succession d’enchantements. Mais, déjà, la fin d’un grand rêve était proche, tout au moins dans le domaine du continent indien. L’immense tumulte de pitié s’achevait dans une stérile apothéose de divinisation. Triomphes et défaites de l’homme sont rythmiquement enchaînés. L’Islam apparaîtra pour réconcilier vainqueurs et vaincus dans la commune défaite. Le bouddhisme aura eu son grand jour dans l’histoire de la pensée. Pieusement enseveli à Ceylan, il garde toute sa jeune beauté en Birmanie, et le nom, sinon la pensée, de Çakya-Mouni conserve toujours en Chine et au Japon l’indéfinissable prestige d’une évocation de surhumanité.

La splendeur de l’éblouissant Bourouboudour atteste encore l’antique épanouissement du bouddhisme, à Java. Entre tous pèlerinages, c’est, avec la visite à la pagode de Rangoon, celui que je recommande le plus volontiers. Bourouboudour est le monument auprès duquel pâlissent les plus beaux édifices de l’Inde. Ce n’est pas un temple, au sens où nous entendons ce mot, puisqu’il n’y avait pas de culte bouddhiste à proprement parler. Des superpositions de terrasses ou les processions se déroulaient en des avenues de bas-reliefs figurant toutes les légendes de la vie du Bouddha. Des Boddisatvas veillent à tous les étages, en attendant le jour de devenir eux-mêmes Bouddhas. Tout en