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AU SOIR DE LA PENSÉE

tions, des discordances de résultats. Triomphal jaillissement de l’imagination parmi de modestes lueurs d’expérience dont la clarté grandissante s’imposera plus tard dans l’entreprise d’une marche à l’étoile.

« C’est l’astronomie, remarque M. Henri Poincaré, qui nous a montré quels sont les caractères généraux des lois naturelles… Newton nous a montré qu’une loi n’est qu’une relation nécessaire entre l’état présent du monde et son état immédiatement postérieur. Mais c’est l’astronomie qui nous a fourni le premier modèle sans lequel nous aurions, sans doute, erré bien longtemps. C’est elle, aussi, qui nous a le mieux appris à nous défier des apparences. Le jour où Copernic a prouvé que ce qu’on croyait le plus stable était en mouvement, que ce qu’on croyait mobile était fixe, il nous a montré combien pouvaient être trompeurs les raisonnements enfantins qui sortent directement des données immédiates de nos sens. Pour comprendre la nature, il faut pouvoir sortir de soi-même, pour ainsi dire, et la contempler de plusieurs points de vue différents, sans cela on n’en connaîtra jamais qu’un côté[1]. Or, sortir de lui-même, c’est ce que ne peut pas faire celui qui rapporte tout à lui-même. Qui donc nous a délivrés de cette illusion ? Ce furent ceux qui nous ont montré que la terre n’est qu’une des plus petites planètes du système solaire, et que le système solaire lui-même n’est qu’un point imperceptible dans les espaces infinis de l’univers stellaire[2]. »

Que les formations du monde ne soient pas nécessairement des créations, voilà ce qui parut si difficile à comprendre pour les premiers « penseurs ». Nos grands chercheurs des anciens âges auraient abordé le grand œuvre dans un sentiment de déchéance s’ils n’avaient commencé par tirer la terre et les astres du néant, ou de l’Être universel, à la façon du panthéisme indien. Il faut apparemment une philosophie supérieure pour se résoudre à accepter les choses comme elles sont. Nous pouvons nous en convaincre encore aujourd’hui par le dédain de tous les cultuels

  1. Et comme nous ne pouvons pas nous placer à tous les points de vue, nous ne connaîtrons jamais de la nature qu’un certain nombre de « côtés », c’est-à-dire de relativités.
  2. La Valeur de la science.