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au soir de la pensée

que nous n’en pouvons atteindre progressivement que des parties.

Le problème de la connaissance par la pénétration et le classement des rapports est, sans doute, le même dans les processus de notre monde organique que dans le reste de l’univers. Pour tous les êtres, la connaissance s’échelonne des premières sensations aux stages suivants de l’évolution élémentaire, dans un domaine d’activité consciente troublé par une inévitable compensation de méconnaissances. C’est la condition fondamentale de notre pensée.

La coordination des dynamismes élémentaires exige des synthèses de directions dont les composantes doivent elles-mêmes s’ordonner. Le consensus des correspondances d’ondes cosmiques, manifestées à tous moments sous nos yeux, est ce qu’on appelle « l’évolution ». Ne cherchons pas, dans l’apparente magie de ce mot, la clef d’un mystère supérieur, comme tant de gens font encore pour le mot « vie ». Il n’y a pas d’entité « évolution », pas plus que d’entité « vie ». Il y a des directions concordantes de mouvements d’interdépendances. La dénomination n’est rien que le signe vocal d’une activité générale de phénomènes successivement enregistrés à la table d’harmonie de notre entendement.

Des aspects successifs d’états différenciés, voilà ce que nous saisissons du monde et de nous-mêmes. La loi, c’est-à-dire la constance des mouvements de rapports dans la direction de la moindre résistance[1], détermine la direction d’un devenir où s’attachent nos craintes, nos espérances, tout le cortège de nos sensibilités. En fait, notre pensée, ou « connaissance », étant, elle-même, une succession d’états de conscience, doit nous présenter des correspondances d’interprétations dans tout le cours de la phénoménologie. Le complexe des ondes internes, constituant le sujet, tend à des résonnances d’unisson avec le complexe des ondes externes, déterminant l’objet — tous deux liés par d’étroites correspondances de rapports. Le mot de progrès, qui a précédé celui d’évolution, indique, comme lui, la direction d’un mouvement général du devenir qui se pliera, ou ne se pliera pas, aux convenances changeantes de nos relativités.

  1. On dit àujourd’hui plus justement la moindre action. Moins philosophique, mais plus évocateur, je me permets de conserver ici le mot de résistance, qui fait image, sans présenter aucun inconvénient.