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l’évolution

bagage. Il renonce presque à la finalité. S’il accepte l’évolution, c’est à la condition de la déformer par la transcendance de l’évolution créatrice.

Mais comment peut-il dire que l’intelligence « rapporte », c’est-à-dire établit des rapports. L’intelligence les reconnaît, les trouvant préalablement établis. Disparaissent toutes les intelligences, M. Bergson ne voudrait pas soutenir, par exemple, que l’oxygène et l’hydrogène ne se combineraient plus pour faire de l’eau ? Je n’ose lui attribuer cette pensée, car les astres, privés de phénomènes biologiques, ne nous offriraient, en ce cas, que des éléments sans rapports. Laissons donc monde et sensibilité organique, chacun à son rôle, l’un déroulant ses évolutions, l’autre effet particulier d’une évolution particulière qui réfléchit des parties de l’ensemble au lieu de les déterminer.

Entre la conception mécaniste de l’univers selon les lois immuables, et la thèse d’un dessein préconçu impliquant la finalité, c’est-à-dire le renversement des rapports du phénomène efficient au phénomène efficié, M. Bergson répartit ses critiques pour installer son évolution créatrice par laquelle le monde, ne cessant de se créer, échappe à toute prévision des mouvements cosmiques, comme à l’institution d’un plan préconçu[1]. Tant d’ingéniosité pour un effort de transcendance équivalant à tous les autres, où nous voyons les mots de principe vital, d’élan vital, devenir, pour grande merveille, les dénominations d’une puissance « créatrice » indéterminée.

Des auteurs invoqués par M. Bergson, je retiens seulement cette citation de Huxley pour son extrême simplicité : « Si la proposition fondamentale de l’évolution est vraie, à savoir que le monde entier, inanimé et animé, est le résultat de l’interaction mutuelle, selon des lois définies des forces possédées par les molécules dont la nébulosité primitive de l’univers était composée, alors il n’est pas moins certain que le monde actuel reposait potentiellement dans la vapeur cosmique, et qu’une intelligence suffisante aurait pu, connaissant les propriétés des molécules de cette vapeur, prédire, par exemple, l’état de la faune

  1. Se créer, par évolution, c’est se continuer, mais on ne sait comment, puisque l’idée de création supprime toute relation de nécessité entre les phénomènes.