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au soir de la pensée

nous donner la clef ! La vie, alors, sera la vie, c’est-à-dire un phénomène en dehors des autres phénomènes, une entité d’on ne sait quoi, l’élan vital propre à résoudre tous les problèmes de la biologie par la vertu d’un verbe « créateur ». Et, si l’on aborde, en effet, le problème à l’envers des généalogies, en envisageant la série animale du haut en bas, quand toute son histoire nous la montre évoluant des profondeurs, on se trouve acculé à la synthèse d’une abstraction verbale qui n’offre à l’analyse que le néant d’une sonorité. Alors, quoi, sinon d’éternelles répétitions de tautologies, qui sont le commencement et la fin d’une métaphysique invétérée ?

Au simple rapprochement des pièces de la série animale, l’esprit métaphysicien a dû contester d’abord qu’il y eut véritablement série. « Jeux de la nature », railleries des folliculaires, excommunications des académies. Puis des sériations reconnues, on en vint à contester l’enchaînement. Pièces isolées « qui ne s’adaptaient que par hypothèse », et pouvaient procéder de mutations héréditaires par les différenciations de l’organisme et du milieu.

La bataille engagée, Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, Darwin, sont déjà maîtres des hauteurs. Il n’y a point d’autre secret, sous le mot de vie, que la figuration abstraite des caractéristiques générales où se détermine un classement de phénomènes coordonnés. Résignons-nous, pour grand effort, à envisager simplement ces phénomènes dans l’ordre ou ils naissent historiquement, ainsi que nous sommes contraints de faire pour une bonne tenue des annales humaines. Et comme nous voyons des formes de civilisations sortir des formes de sauvageries, nous observerons des complexités d’organismes (par conséquent, de fonctions) issues de simplicités originelles, — qui sont des complexités elles-mêmes au regard des états précédents — des cycles de dynamismes dont des parties peuvent être, et sont déjà déterminées.

D’une évidence irrésistible, l’évolution organique s’impose ainsi à notre observation par l’enchaînement des énergies successives de la phénoménologie. Dans l’ouragan des choses, le grand voile du temple de la métaphysique est irréparablement déchiré. La lumière a troué les ténèbres. Le mystère des mystères se trouve être celui que nous avions pris soin, nous-mêmes, d’y abriter.