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l’évolution

ces considérations. Il était né chercheur, et, vivant dans le halo d’une pensée lumineuse, ne pouvait être encouragé ni découragé par qui et par quoi que ce fût. Il a fallu que son œuvre énorme n’intéressât vraiment personne pour qu’il se trouvât si remarquablement oublié, lorsque Darwin, après d’innombrables observations patiemment sériées, reprit, sans même évoquer le nom de son prédécesseur, la grande œuvre étayée déjà de puissants contreforts.

En doctrinant l’évolution moins par l’hérédité des caractères acquis (à la suite de Lamarck lui-même), que par la sélection naturelle dans la concurrence pour la vie, tandis que Lamarck avait surtout conçu les variations par l’habitude[1] et même par le milieu, Darwin ne faisait que suivre la grande voie obscurément mais glorieusement ouverte par les laborieux efforts de son grand devancier. Lamarck eut l’incomparable mérite de la grande synthèse. Darwin, d’une surabondance de corroborations. Les deux noms ne seront pas séparés.

En vue de poursuivre les recherches des maîtres, les disciples ont ouvert, et poursuivi de laborieuses enquêtes sur les successions des processus « de transformations, de mutations », où l’analyse expérimentale se donne carrière. La loi générale hypothétiquement déterminée, la recherche s’ensuit de tous les comment qui en dérivent. Entre les néo-Lamarckiens et les néo-Darwiniens le débat pourra se prolonger longtemps. Puisque les concurrences organiques, poussées jusqu’aux issues, aboutissent à des ordres de développements, et puisque ces développements se commandent en des successions d’interdépendance, dans les directions de la moindre résistance faisant fonction de finalité, d’innombrables problèmes sur les enchaînements d’énergie et les formes de leur activité s’offrent à tous essais de détermina-

  1. C’est une singulière fortune de rencontrer Pascal, précurseur de Lamarck. On sait que l’unité, l’identité du Moi, toujours changeant, a profondément troublé la philosophie jusqu’à la découverte de l’évolution. « Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? » Et, la questîon posée, le douloureux penseur fait cette réponse : « La coutume est une seconde nature qui détruit la première ». Vous avez reconnu « l’habitude » de Lamarck. C’est, en effet, l’exercice, l’usage, la gymnastique de la fonction, développant l’activité organique en des activités successives, qui impliquent la forme du devenir, issue de la forme périmée. Dès que le mouvement est reconnu, l’évolution ne peut plus être évitée.