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sique, et c’est à cette science de la vie qu’il a donné le nom de biologie. »

Sur l’artifice (nécessaire à notre entendement) des classifications en espèces, genres, etc. (sans réalité d’existence objective)[1], le puissant novateur proclame que « si nous avions sous les yeux l’ensemble des successions morphologiques disparues, elles annuleraient les limites de nos divisions ». Parce que nous ne trouvons devant nous que des portions de séries, nous avons dû les circonscrire pour l’ordre de nos compréhensions. Rien de tel dans l’ordre de la nature. Ce fut un bel effort d’arriver à la comprendre. Mais Lamarck ne se fait point d’illusions sur les résistances. « Il est plus facile, écrit-il philosophiquement, de découvrir une vérité nouvelle que de la faire prévaloir. » En trois mots, toute l’histoire de la pensée humaine.

Si les classements par similitudes et différences ne sont objectivement d’aucun compte cosmique, nous n’avons devant nous que des distinctions de phénomènes (c’est-à-dire de mouvements), non moins exposées que nos classements eux-mêmes au reproche de subjectivité, puisqu’il ne s’agit que des déterminations de sensibilité mises dans le cas de réagir par des chocs successifs de discontinuités (quanta). Dans le monde organique, si les espèces disparaissent, il ne reste que des individus, c’est-à-dire des individuations de complexes différenciées par des fonctions organiques dont l’hérédité sera d’autant plus variable que plus grande se trouvera la complexité dans les rapports des plastides (cellules) aux milieux.

Avec les énormes durées de temps que fournit le Cosmos, c’est donc la variation qui sera la loi éternelle — la seule conception impossible étant précisément cette immobilité admise, de premier aspect, comme détermination de connaissance. Cela éclatait déjà clairement lorsque la discussion, à l’Académie des sciences, entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire sur l’unité du

  1. Linné lui-même n’est pas sans avoir eu des conceptions transformistes. Pour Cuvier, les espèces sont des formes qui se sont « perpétuées depuis l’origine des choses ». Quelle durée cela peut-il enclore ? L’école de Cuvier admettait volontiers que la terre était vieille d’environ 6 000 ans. Avec ses quelques dizaines de milliers d’années, l’homme de la Chapelle-aux-Saints a dû sourire dans la fossilisation de son quaternaire. La nécessité des temps indéfinis fut un des principes fondamentaux des interprétations de Lamarck.