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au soir de la pensée

L’idée fondamentale de Lamarck est que « l’habitude », ou l’usage, ou l’activité, dans la durée des temps, emporte des variations caractérisées. On n’en a d’abord tenu qu’un très médiocre compte. Il apparaît aujourd’hui que ces « variations » sont, dans la durée, les composantes inévitables du transformisme manifesté par l’évolution. Qui donc méconnaît, de nos jours, la puissance des changements venus des exercices gymnastiques qui ne sont que systématisations d’habitudes périodiquement pratiquées ? Les conséquences biologiques de la simple répétition d’une contraction musculaire sont marquées, comme on sait, d’un afflux de vitalité. Répétées, l’organe en sera bientôt accru, comme il apparaît tous les jours aux développements des membres renouvelés par le labeur. Le penseur profond qu’était Turgot l’avait bien reconnu, lorsqu’il se plaignait que notre « éducation » consistât à donner des règles aux enfants quand il faudrait faire naître des habitudes ». Et puisque le mot d’éducation implique l’idée d’une évolution, on peut dire qu’ici Turgot devança Lamarck dans la détermination d’un facteur éminent du transformisme évolutif et de ses directions.

C’est que les formes et les directions de toutes activités organiques retentissent nécessairement sur toutes correspondances des développements fonctionnels[1]. Les répétitions de « l’habitude » n’impliquent pas de simples superpositions de mouvements. La loi de l’effort, par l’appel de la nutrition, veut un avancement (comme d’imbrication) dans le sens des moindres résistances qui déterminent la transformation, l’évolution. Si la somme d’énergie dépensée dans l’organe était égale d’action et de réaction, il y aurait neutralisation de part et d’autre, c’est-à-dire arrêt du mouvement cosmique. Or, la loi du mouvement étant d’une continuité sans relâche, cette continuité ne se peut obtenir que par un processus du phénomène antécédent en direction du phénomène suivant, dans la proportion des résistances graduellement épuisées. Ainsi s’enchaîneront les successions d’énergies nouvellement orientées, qui n’ont besoin, pour leurs déterminations, que d’une suffisante durée.

  1. Voyez, par exemple, l’enchaînement des réactions réciproques des fleurs et des insectes, les uns sur les autres. Darwin abonde en exemples de cette catégorie.