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au soir de la pensée

des conceptions, pour en faire honneur à « la méthode scientifique de notre connaissance de la nature. L’expérience sous la conduite de l’imagination disciplinée, est capable d’atteindre des résultats dépassant la libre imagination du plus grand philosophe de la nature. L’expérience sans l’imagination, et l’imagination sans la direction de l’expérience, sont insuffisantes pour un effet de progression. Nous avons besoin d’une heureuse conjugaison de ces deux puissances. L’inconnu apparaît à nos yeux comme un épais brouillard. Pour avancer dans cette obscurité, il n’y a point à compter sur le secours des surhommes. Tout dépend des efforts combinés d’un égal entraînement d’hommes moyens doués d’une imagination scientifique. Chacun ouvre la voie dans son domaine, et son labeur réagit sur l’ensemble. Alors, de temps en temps, jaillit d’une accumulation de connaissances un flamboiement d’idées qui éclaire une étendue et fait apparaître l’influence réciproque de tous les travailleurs »[1].

Je n’ai pu résister au plaisir d’invoquer de si nobles paroles à l’appui de ce que je crois comprendre des mouvements de la connaissance humaine. J’essaye péniblement de rassembler, selon les indications de nos maîtres, des faisceaux épars de l’observation positive sous les auspices d’une vision générale des choses d’où il ne se peut pas que l’imagination soit bannie. Quelle plus grande satisfaction que de puissantes voix annonçant les grands afflux de pensée dont s’émeuvent les esprits de généralisation !

Dans tous les pays civilisés, de belles générations de travailleurs marchent à la conquête des problèmes du monde par la lente formation d’un état commun d’intelligence qui pourra sauver l’homme, peut-être, des trop lourdes méconnaissances aggravées des universels conflits d’intérêts. Aux champs de l’avenir, je vois se rassembler une jeune élite de pensée française qui ne sera, sans doute, point indigne de ses grands devanciers.

  1. Haute philosophie de la vulgarisation, achevant l’assimilation des connaissances par l’activité d’une puissance communicative qui n’échoit pas toujours au simple savant.