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l’évolution

telle », autrement ambitieuse, nous promet fastueusement une assimilation d’absolu.

Nous avons décrété un « règne » minéral, végétal, animal, humain même, en des cadres de subjectivité. Plus tard, par les acquisitions croissantes de la connaissance, il a bien fallu (en dépit de « l’âme immortelle » ) ramener l’ordre humain à l’ordre animal, et, bientôt même, les rapprochements avec l’ordre végétal se sont imposés par les similitudes d’organismes élémentaires. Enfin, l’ordre minéral, qui avait tenu bon jusqu’ici dans son isolement, laisse voir désormais des activités physico-chimiques à l’état d’inéluctables préliminaires de la formation dite « organique ». Lorsque notre attention se fixe sur la corrélation de ces phénomènes, la nature même des choses veut que l’embarras principal soit de trouver le point où modifier les dénominations. Au vrai, un tel point n’existe nulle part. C’est un besoin de notre organisme mental qui le détermine passagèrement par un acte de verbalisme nécessaire aux articulations du langage pour les associations d’images constitutives de la pensée.

J’ai déjà pris l’exemple de la pomme de terre en cave dont le rejeton va chercher la lumière du soupirail et la trouve aussi sûrement que « ferait une intelligence », selon l’expression de Claude Bernard. Que rencontrons-nous là ? Un phénomène de vie végétative que nous expliquons par l’action de la lumière, dans une direction nécessairement suivie par la prolifération élémentaire. Ainsi fait la cymballaria linaria dont la tige se replie, une fois la graine mûre, pour aller insérer sa semence aux interstices des murailles. Un « tropisme », comme nous verrons tout à l’heure. Un « géotropisme » succédant à un « héliotropisme », tous deux nettement caractérisés. Et qu’y a-t-il à la source du « tropisme » lui-même, sinon des réactions physico-chimiques de l’énergie universelle, en des formes dites lumière, chaleur, électricité, magnétisme, etc.

Voici donc, de l’aveu d’un savant qui ne fait point profession de philosophie, un ensemble de phénomènes physico-chimiques engendrant des résultats identiques à ceux qui sont le produit de « l’intelligence » et de la « volonté ». Cela ne donnera-t-il donc pas à réfléchir ? Qu’avant de connaître physique ni chimie, avant de pouvoir rien comprendre des manifestations de l’énergie cosmique, nous ayons rassemblé nos sensations dans des mots dont l’éminente valeur était précisément d’inconnu, cela s’ex-