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l’évolution

dons, est un complexe d’autres phénomènes en correspondances de formations. Si nous pouvions objectiver tous les rapports des choses, notre subjectivité n’aurait plus d’éléments où se prendre. Connaissant et vivant tout, notre indistincte personnalité, sans contours, se trouverait fondue dans un abîme de néant.

Notre fortune est très différente. N’étant qu’une partie de l’infini — un moment d’individuation en opposition avec d’autres, — nous pouvons enregistrer des passages, au prix d’efforts contradictoires qui ne stabilisent trop souvent notre connaissance qu’après des stages de méprises. N’en sommes-nous pas encore à ne pouvoir prendre notre parti des inévitables mésinterprétations où nous ont engagés nos premières formations de langage ? Cependant, la loi de notre évolution ne nous permet pas de nous enliser plus longtemps dans la gangue des incompréhensions primitives. Et puisque l’aberration capitale qui conditionna le secours mental de notre verbalisme fut et demeure encore de prendre les mots pour des choses, demandons-nous, avant de nous laisser déconcerter par le mot vie, quel peut être l’ordre¤ des évolutions organiques à rassembler sous le chef d’une biologie comparée.

Les animaux n’étant qu’évolution, comme nous-mêmes, il faut que leur état mental évolue au même titre et dans les mêmes conditions que le nôtre, sinon du même pas. L’infériorité du champ de sensations ouvrées, entraînant de moindres activités d’intelligence, veut une puissance d’évolution diminuée. Le dynamisme évolutif n’en subsiste pas moins. Nous ne pouvons que rarement comparer des échantillons de squelettes d’une même espèce animale différenciée selon les successions des temps. Toutefois, quand le poisson ganoïde nous donne le poisson à écailles, nous sommes assurés qu’il s’est produit dans l’ensemble de l’organisme une décisive transformation dont l’appareil sensoriel, aux portes de la cérébration, a pris une part qui ne se peut négliger. Nécessairement en doit-il être de même à tous les échelons de la vie animale.

Si nous avions pu colliger des points de repère dans l’évolution mentale de l’animalité, comme nous avons commencé de faire pour l’homme, nous serions en mesure de fixer d’intéressantes indications. Si le renard ou le loup apprennent tous les jours à mieux conduire leur poursuite de la proie, celle-ci, d’autre part,