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l’évolution

compte des conditions héréditaires de notre humanité. Car il faut bien revenir à l’individu pour conduire la famille, la tribu, tous groupements d’évolutions, depuis les premiers âges jusqu’aux accomplissements modernes qui réclament d’étroites règles d’organisation. Il faut un chef, et le père de famille s’offre, d’abord, avec le droit de vie et de mort sur ses enfants. Les groupements de tribus voudront une assemblée de « pères » sous l’autorité suprême de l’un d’entre eux. Autocraties, tempérées d’anarchie, qui laissent aux récalcitrants le recours de la trahison. C’est de là qu’il s’agit de tirer, par l’évolution, l’idéal d’un ordre universel que chacun réclame, et que personne n’a pu construire encore autrement que dans les livres — bégaiements d’humaines fabrications.

Ce ne peut être mon propos d’esquisser une histoire de nos évolutions grégaires qui, sous toutes étiquettes de phraséologie, ont produit des états de sauvagerie et de charité humaine tour à tour distingués ou confondus. Comment donc jauger exactement violence et bonté en de justes mesures pour les rapporter l’une à l’autre dans de vagues formules de compensations ? L’évolution grégaire nous a laissés contradictoires, sans que l’hypocrisie, parfois inconsciente, de notre verbalisme nous permette le plus souvent de nous juger. Dans les rassemblements ethniques d’une civilisation, même « avancée », il arrive que les abus les plus criants soient passivement tolérés, tandis que chez des peuples plus près de l’état primitif (ceux de l’Asie notamment) d’affreux excès de barbarie s’accompagnent très bien d’une exquise douceur dans l’exercice de l’hospitalité. Aspects divers d’évolutions mêlées dont les lignes directrices se rencontrent aisément en des activités contradictoires, surtout quand l’intérêt y est engagé. Il y a tant de manières de mettre les mêmes mots au service d’idées contraires.

On n’attend pas de moi une description des peuples. Je me borne à noter des temps de leurs états de mentalité. Ils se sont cantonnés (souvent après migrations) dans des régions particulières selon leurs moyens de défense et d’approvisionnement, tantôt pour des irruptions aux dépens d’autrui, tantôt pour des reculs de défaite devant les invasions. Tour à tour dominateurs ou dominés.

Simple question de force en des groupements d’hommes qui