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l’évolution

lopper hors de l’inutile éloquence des prédications qui nous abusent sur nous-mêmes en remplaçant l’acte par un bruit de mots. Au lieu de prodiguer les paroles au vent, essayons de les vivre et nous serons guéris du pire de nos infirmités.

J’ai passé sommairement en revue quelques-unes de nos idées directrices. Je n’ai rien dit de la plus puissante émotivité de l’espèce humaine : « l’amour de la patrie ». Pour quelques-uns, il faut en faire l’aveu, c’est un texte à déclamations profitables, auquel s’oppose vainement l’idéologie de quelques détracteurs. Écartons ces extrêmes, et voyons dans l’irréductible attachement au sol natal, au foyer familial où le plus beau de nos sentiments a pris naissance et s’est développé dans l’harmonie d’une communauté de sensations et de pensées, le cadre le plus propre pour notre évolution d’humanité.

Biologiquement, l’amour du territoire familial, où, sous de douces mains amies, nous avons ouvert les yeux à la lumière des choses nous veut, nous tient, nous élève à travers tout, jusqu’aux sacrifices de nous-mêmes et des nôtres, pour une suprême satisfaction d’idéalisme qui n’admet point de débat. La métaphysique de l’idéologue s’en effare, alléguant que les questions de patries divisent les humains dont le premier besoin serait d’universelle conjonction. S’ils étaient capables d’observer, ces « raisonneurs » découvriraient qu’il y a eu, dans l’humanité, beaucoup plus de guerres civiles que de guerres étrangères, et que les périls des formations de patries sont tout simplement ceux de l’esprit humain insuffisamment évolué. Tout au contraire, l’accord, non seulement de mots, mais de sentiments profonds, ne peut être que facilité par l’élaboration historique des sentiments d’altruisme par dans tous les rapprochements du commun foyer. S’il se constitue jamais une unité de l’intégrale famille humaine (ce qui n’est pas démontré), c’est que le sentiment de la patrie, bien loin d’y faire obstacle, se sera agrandi au delà même de ce qu’il est permis présentement d’en présumer.

Il n’y a, il ne peut y avoir qu’un fondement solide des activités sociales, c’est l’altruisme développé dans tous les cadres de la vie commune. Un état social d’interdépendance aboutit, quoi qu’il arrive, à des coordinations de solidarité. Le bien ou le mal venu d’un seul, ou de quelques-uns, a des répercussions déter-