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l’évolution

festations des éléments. Des Dieux, c’est-à-dire des vies hors de nos proportions, paraîtront s’imposer au même titre que la nôtre, ne pouvant être, comme nous-mêmes, que des formations de consciences dans l’acte de vivre leur moment de l’univers. Lumière, chaleur, vent, pluie, tonnerre paraissent des actes de volontés personnelles dont les mythologies nous ont transmis l’histoire à toutes fins de systématisations. Cette trame élémentaire s’éclaircira plus tard par les empiétements de l’expérience sur les confusions de l’éblouissement. Mais, toujours, au plus vif de nos aspirations, s’obstinera la recherche d’une puissance d’harmonie cosmique qui fasse, avec nous-mêmes, une humaine beauté d’accords dans l’indifférence de l’espace et du temps infinis.

La terre et son Océan n’ont pas une moindre aventure à nous dire dans l’étalage souverain de leurs somptueuses énergies. Même leçon de vie universelle, le rocher de vie profonde au même titre que la vague ou le vent. L’Inde est couverte encore de pierres sacrées dont on sollicite les faveurs. L’une d’elles, dans le fossé qui borde la route d’Ellora, s’était apparemment montrée si bienveillante que je la vis couronnée du dôme d’une minuscule chapelle, inattendue en un tel lieu.

Par excellence, l’habitat, le foyer avec son prolongement d’exploitation, l’homme le construit, l’aménage en vue de ses besoins de tout moment. Il s’y accommode, il en jouit, il l’aime et s’attache à son œuvre, avant de pouvoir admirer la vie universelle d’un sentiment désintéressé. Plus tard même, ce sentiment voudra se raffiner. Il y a du chemin, de l’amour bestial du sauvage aux délectations de l’Astrée. D’un apprentissage d’admiration l’art humain est issu. Nous en avons recueilli les témoignages aux cavernes du quaternaire. La recherche, la rencontre d’une sensation du « beau », c’est-à-dire d’un spasme des sensibilités ténues où s’accomplit la parfaite communion de l’homme et de l’univers, le retour du Moi au monde qui l’a produit.

Aux spectacles de la nature, le primitif a de longs siècles d’initiation devant lui. S’il y a, comme l’a montré Darwin, des sensations de la beauté chez les animaux[1], comment l’homme

  1. La loi de l’évolution organique n’exige-t-elle pas l’enchaînement (en direction commune) des fonctions organiques à leurs divers degrés ?