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l’évolution

nature s’est peut-être manifestée, chez l’homme des premières suggestions intellectuelles, par une vénération de l’arbre[1], de la fleur, des bosquets, des forêts, temples de tous mystères, asiles évocateurs de toutes émotivités. Le bois sacré (lucus), dont il reste encore de rares vestiges dans nos campagnes[2], témoigne de l’antique communion dans le mystère des choses. Les légendes de l’Arbre du Bien et du Mal sont des plus anciennes de l’Asie. La terreur du danger s’y inscrit sous la figure du serpent qui pénètre, en son trou, jusqu’aux mystères des choses. Par grâce singulière, l’homme, sortant des mains du Créateur, est mis dans un jardin, disposition originelle d’accommodements primitifs, sous le nom de Paradis, qui signifie bosquet, palais de la nature, séjour de nos premiers ébats. Quoi de pire que d’être chassé du Paradis dont une épée flamboyante interdira l’entrée ? Depuis ce temps, le couple humain cherche son Paradis que l’innocent Candide lui recommande expressément de cultiver.

Hélas ! d’interminables siècles de méconnaissance, l’homme ne peut se débarrasser sans la douleur d’une libération d’ankylose. Une indicible stupéfaction nous arrête, aux premières réalités vivantes d’un monde par nous persévéramment déformé. Darwin est un de ces voyants qui ont pris leur parti de toutes solutions d’expérience. Aux fourches du chemin, l’impeccable méthode d’une observation contrôlée, l’inflexible droiture d’une volonté sans réticences, la loyale substitution des données positives aux préjugés d’un atavisme épuisé. Il s’en dégage une puissante émotion de connaissance inexpugnable, et l’heure arrive enfin où l’esprit le plus obstinément réfractaire s’étonne lui-même du peu de poids de ses préventions les plus invétérées.

Une modeste enquête sur la question, toute nue, de la variabilité des espèces, peut-on s’y refuser ? Et pourquoi ? Les phénomènes mis en pleine lumière, les conséquences s’en dégageront selon qu’il appartiendra. L’attirance invincible des plus ardus problèmes, l’ambition de se mesurer sans défaillir avec l’expérience des choses, libérée des chimères primitives au profit d’une observation ordonnée, n’est=ce donc pas assez pour l’emploi d’une vie ? Comment s’y dérober ? L’observateur découvre,

  1. Le souvenir de l’ancien habitat y était-il pour quelque chose ?
  2. Le Bois, dit de la Folie, à Pouzauges (Vendée).