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au soir de la pensée

l’épanouissement de sensibilité désintéressée qui l’élève démesurément au-dessus du commun troupeau. L’idée très simple de la défense du foyer suffit à Jeanne d’Arc pour s’immortaliser.

D’ailleurs, le choc des armes n’apporte plus uniquement les décisions suprêmes. L’élite de la connaissance va s’accroissant en des proportions qui affermissent, chaque jour, nos espoirs trop souvent déçus, d’un idéal d’évolution pacifique obscurément en voie de se réaliser. Les foules s’éclairent lentement pour entrer dans l’action chargée d’incohérences. En face du redoutable univers et de la tyrannie des mésinterprétations, l’homme, sollicité de connaître, ne se sent plus en butte à l’animadversion publique. Il a des compagnons. Il compte des victoires dont le champ s’étend chaque jour. Il marche à la prise de possession de lui-même. La résistance des dogmatiques, étayée des instincts héréditaires, le gardera dans l’obligation de donner le plus possible de lui-même en vue du plus noble accomplissement de libération. La victoire dépendra de la haute obstination que chacun se trouvera capable d’y apporter.

Pour le savant d’observation, confiné dans l’étude expérimentale qui le met aux prises avec le Cosmos indifférent ou rebelle, il ne peut s’attendre qu’à lui-même — grand par l’orgueil d’un courage au-dessus de toutes défaillances, ouvertes ou masquées. Ce rôle ne peut être le lot de la foule chez qui le courage et même l’héroïsme se rencontrent plus aisément que la méditation. La montagne commande la vallée. Pour gravir la haute cime, il faut se trouver muni de leviers disposés à cet effet. Est-ce à dire que l’exemple magnifiquement donné ne puisse susciter l’enthousiasme des masses populaires trop justement en quête de clartés ? Au contraire. Seulement l’immense majorité ne se décidera qu’après victoire gagnée, et pour être vraiment vainqueur, c’est-à-dire pour se trouver en état de tirer avantage du succès, il faut avoir combattu. L’évolution d’humanité n’accomplira son cours que par des transformations de méconnaissances en connaissances et d’incohérences sentimentales en justesses d’émotivités. Un âpre labeur !

Ce qui fait l’homme, vraiment, ce n’est pas le « succès » des faiblesses où se rue la tourbe des moindres. Pas davantage les puériles « fiertés » d’une domination sociale enrubannée d’honneurs. C’est une construction d’équilibre mental hardiment poussée jus-