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au soir de la pensée

chances qu’on n’a voulu croire pour des hauteurs de désintéressement. L’homme qui se rend, dans la sérénité de son cœur, aux fatalités de la condition humaine, n’aura pas besoin d’artifices de langage pour le plus noble emploi de sa vie. Le Sphinx ne lui fait pas peur. Il l’abordera face à face, lui posant des questions avant d’en recevoir. Il se voit noyé dans l’univers, mais quand il rapporte ses réactions de sensibilité à l’inconscience des choses, il découvre en lui-même, pour un éclair de temps, une autorité de jugement qui meut, au plus profond de son être, des parties du Dieu qu’il avait cru voir au dehors et qu’il tente de réaliser au dedans par la virtuosité d’une réflexion de réflexion. Il prononce. Il dit le Cosmos, il se dit lui-même, et opposant l’un à l’autre, il formule ce fameux « jugement dernier » que sa Divinité subit, au lieu de le dire, pour cause d’insuffisance séculairement démontrée. Il dit pour lui-même, il fait. Transposition d’apothéose, à l’usage même des simples, quand la Révélation s’évanouit.

On alléguera que ce triomphe éphémère est d’imagination, de subjectivité. Qu’est-ce donc qui a fait la force passagère des théologies, sinon des satisfactions, uniformément subjectives, au profit de qui peut prendre d’incohérentes chimères pour des formes d’objectivité ? Qu’est-ce que cette subjectivité même, sinon une forme de l’objectivité générale du Cosmos ? Distinguons pour mieux connaître, mais rejoignons pour synthétiser. Au fond, il n’y a dans le monde qu’un phénomène d’infini dont l’homme représente l’aspect d’un moment. Qu’en un battement d’horloge, il paraisse dominateur ou dominé, qu’est-ce que cela peut changer de la double fortune de naître et de mourir ? Et comment s’en plaindre, si des compositions inexprimables nous ont assigné, dans une tourmente de connaissances et de rêves, un éblouissement de surhumanité ?

J’ai essayé de montrer quelques-uns des dessous, des dedans, des dehors du drame immense où nous faisons tout à la fois figures de protagonistes et de spectateurs. J’aurais perdu mon temps à en vouloir embrasser l’action dans son ensemble qui est d’éternelle infinité. J’ai tenté d’éclairer des aspects en projetant, sur quelques scènes, la lumière, telle quelle, de mon modeste réflecteur. Ainsi ont fait superbement des maîtres des temps passés, ainsi feront, mieux encore, les maîtres des temps à venir.