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au soir de la pensée

Selon les formules positives du monde et de l’homme telles que nous commençons de les pouvoir préciser, la vie de l’individu trouve son plus haut accomplissement dans l’entr’aide qui portera le puissant au secours du faible, l’esprit éclairé au secours de l’intelligence embrumée. À chacun son devoir, sous le choc, hélas ! d’un faste de mots jetés au vent. Quiconque se trouvera capable de se redresser lui-même peut et doit concourir, par l’autorité de son abnégation, à redresser autrui. L’individuel effort de droite volonté aux fins de l’ascension de tous ne sera jamais perdu.

Comment, alors, interpréter à déchéance une humilité d’origine qui devrait, au contraire, nous rehausser, à nos propres yeux, par un orgueil de développement supérieur ? Est-ce donc nous rabaisser que de nous refuser au faux apparat d’un clinquant de demi-Divinité, pour prendre fièrement notre place en tête d’une hiérarchie cosmique de consciences toujours plus éclairées ? Un grand cultivateur de mes amis s’entendit un jour demander, à sa table, quelle était la profession de son père :

— Mon père, répondit-il placidement, était ramoneur.

Ce fut un cri d’admiration. N’y aurait-il pas là une assez belle leçon à l’adresse des « Monsieur Jourdain » de la métaphysique qui détournent la tête aux appels de l’ancêtre de Java.

Pour tout homme capable d’essayer loyalement de comprendre et d’agir sa propre vie, il n’est, il ne peut être que de fermer l’oreille aux légendes puériles d’un passé d’imaginations dévoyées, pour reconnaître notre juste place dans l’action positive des mouvements de l’univers. Il y a des qualités d’idéalisme — étapes d’évolutions passées et à venir. Qu’on ne s’étonne donc pas si « l’idéal » d’un pâle courtisan de la Divinité ne s’accommode point des sensations de suprême fierté qui sont la haute récompense de l’homme capable d’affronter le monde tel qu’il est, et de s’élever au-dessus des contingences par la force de sa volonté. Nous voilà loin de la déchéance annoncée. La valeur d’action d’un « idéal » se détermine, non par le bruit des paroles qu’il inspire, mais par sa puissance d’efficacité. Les légendes, les mythes nous ont à profusion fourni des tapages d’altruisme dans le plein des méfaits d’égoïsme instinctif qu’on essaye vainement de dissimuler.

Projeté plus loin, toujours plus loin au delà de nous-mêmes, l’idéal humain, affranchi de toutes basses contingences de