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l’atome

ses corpuscules ignés[1] a fait assez de bruit parmi le public des ignorances cultivées pour qu’on ne s’étonne pas s’il en résulte, dans les conceptions positives de notre physique, quelque chose de changé. Les timidités héréditaires, si hautement manifestées dans l’ordre cultuel, retiendront toujours le trop vif élan des interprétations nouvelles par la résistance des atavismes moyens toujours épris d’une chimérique fixité.

Dans le domaine du langage, spécialement, rien de plus propre à nous embarrasser que l’obligation, où se trouvent les novateurs, d’exprimer les idées récentes par de vieux mots dont le sens ordinaire se voit soumis aux entorses d’un verbalisme périmé. Il n’y a pas un moindre danger peut-être, des expressions nouvelles, sujettes à toutes déformations, sous la poussée d’idées hâtives, avant les rigueurs du contrôle expérimental.

Je n’ai garde de pousser trop loin dans le vif de l’atome, au cours de ce phénomène inattendu de « dissociation électronique » sur lequel il pourra être profitable qu’un siècle ou deux d’expérience aient passé. Tenons, cependant, la « dissociation électronique » pour acquise, car il faut bien reconnaître que l’observation la plus attentive y conduit. Est-ce à dire que les conclusions qui s’ensuivent n’auraient pas besoin d’être vérifiées ? Elles le sont, nous diront quelques-uns. Eh bien, qu’elles continuent. L’observateur, qui ne manque pas de nous crier gare à certains tournants de l’inconnu, ne peut qu’estimer à sa juste valeur la collaboration future d’une suite de siècles armés de tous moyens d’investigations.

Ne devons-nous pas toujours nous défier des méprises constantes où nous entraînent les mots, surtout quand nous les laissons glisser à des extensions de sens qui ne paraissent pas toujours nécessaires, ni même justifiées. Comment ne serais-je pas choqué, par exemple, d’entendre M. Le Bon nous parler, comme d’une chose toute simple, de « la dématérialisation de la

  1. « Les plus puissantes ressources du laboratoire moderne, les températures les plus élevées ou les froids extrêmes, les plus fortes pressions, les plus violents réactifs chimiques, l’action des plus puissants explosifs, ou les plus intenses décharges électriques n’affectent en rien la radio-activité du radium ni sa vitesse »… « L’énergie de l’atome de radio-activité est 250 000 fois plus grande que celle de toute autre espèce d’atomes connus. » (Soddy, le Radium.)