Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
les âges primitifs

La famille, en défense contre les choses du dehors, plus tard constituée en tribu, sauva l’homme comme elle put. Des moments durent se présenter ou l’existence de la race fut gravement en péril. Il est cependant remarquable que les populations les moins propres aux ingéniosités de la défense et de l’attaque, comme les nègres, aient proliféré, parmi les lions eux-mêmes. Le feu fut d’un grand secours pour la protection. Mais déjà les temps les plus difficiles étaient passés. De quelque façon que ce soit, la bête, de bonne heure, a trouvé son maître. C’était le sort de la civilisation qui se jouait entre la hache de pierre et les crocs des grands fauves. L’aïeul de l’homme était descendu de son arbre, et l’homme lui-même n’y pouvait plus qu’occasionnellement remonter.

L’imprévu des aventures refoulait encore aux abîmes la continuité des desseins ; la cohérence des volontés. Ainsi se passèrent des âges qu’il est impossible d’estimer, ou même de concevoir, autrement qu’à la fortune des plus vagues conjectures. Le culte du bâton qui est demeuré sceptre, et dont l’anthropoïde actuel fait encore état, le projectile qui se trouvait sous la main suscitèrent les premières ressources de résistance ou d’agression. Le petit singe de Calcutta que j’ai vu casser sa noisette entre deux pierres donnait un exemple d’aptitudes assez notablement développées. Sans doute, il lui fallut l’enseignement de l’homme pour aller chercher le caillou qui lui servait de marteau. N’est-ce donc rien qu’il ait appris ? ]’en ai vu un autre à Amsterdam qui brisait la noix en la lançant, entre ses deux jambes, contre la tôle de sa cage. Peut-être y avait-il là plus de son art que de la leçon ? Il faut bien admettre, pour nos premiers parents, des facultés d’invention, selon le témoignage décisif des pierres taillées ou polies.

Si la découverte du feu précéda ou suivit ces grossiers instruments, à l’imitation peut-être d’« éolithes »[1] utilisées selon les chances, c’est ce qu’on ne pourra jamais préciser. L’histoire des divers groupements humains serait bien propre à nous suggérer des mouvements ide modestie trop souvent nécessaires.

  1. J’ai déjà dit qu’on appelle de ce nom des cailloux que le brassement des eaux, et les chocs qui s’ensuivent, ont brisés et usés en certaines parties jusqu’à leur donner au hasard l’apparence d’un dessin d’ouvrier.