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les âges primitifs

dier les acquisitions positives de notre intelligence en quête d’une compréhension du monde, quelle autre issue que de renoncer à l’orgueil d’une surnaturelle descendance pour nous en tenir à ce que nous sommes vraiment : le passage d’un phénomène planétaire en évolution d’accroissement. Cela même sera plus flatteur pour notre amour-propre que la déchéance de servitude par laquelle notre Dieu nous fit débuter.

Pour nous faire descendre de la Divinité, il faut rompre l’enchaînement des phénomènes qui est l’infrangible loi de l’univers. Si nous y demeurons retenus par une nécessité à laquelle rien ne peut nous soustraire, l’origine animale, commandée par l’évolution organique et la filiation des espèces qui en est la conséquence, s’imposent désormais aux compréhensions primitivement rebelles. Tout s’enchaîne d’une rigueur immuable, ou tout se succède au hasard des caprices divins. Il faut en prendre son parti. Obligatoirement, le dogme s’obstine contre l’évidence des évolutions de la vie, avec le même aveuglement que contre la rotation de la terre aux temps passés. Sans nous arrêter plus longtemps à de si pauvres obstacles, notre œuvre est de suivre le cours des chaînons d’ascendance aussi loin que l’observation nous permettra de remonter.

On a vu quels commencements de lumières les vestiges d’ossements fossiles nous avaient apportés. La diversité des pièces de nos musées accuse, sans conteste, une prodigieuse ascension confirmant les vues du génie de Lamarck, suivi de Darwin. Mais si notre plus lointain échantillon d’origine est d’un pithécanthrope ; il nous restera de nombreuses lacunes a combler. Car il s’agit surtout ici d’une évolution cérébrale, dont les traces sont difficilement saisissables, depuis l’anthropoïde jusqu’à l’homme d’aujourd’hui. Nos trop rares crânes fossiles ne peuvent fournir, avec l’aide de tous fragments, que des séries d’échelons plus ou moins suggestivement liées. À travers toutes les difficultés du problème, nous tenons ; néanmoins, assez d’éléments de la chaîne pour être en état de reconstituer en partie des phases du progrès mental et d’en tirer les conclusions légitimement impliquées.

Quelle religion du « premier homme » ? Formule trop sommaire du problème présenté dans des termes qui ne permettent pas de solution. Où donc, le « premier homme » ? Qui l’a interrogé ?