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au soir de la pensée

tacle de nouveaux (phénomènes enchaînés dans l’ordre du Cosmos, avec ou sans l’acquiescement des métaphysiciens. Au lieu de se trouver à la racine des choses, il nous fournit simplement la vision d’un phénomène entre des phénomènes, et quand nous aurons mis au clair le phénomène qui s’ensuit, un autre patientera aux antichambres de notre connaissance jusqu’à ce que s’ouvre la porte de l’inconnu au battement du heurtoir.

Il ne s’agit donc pas de faire de l’atome le saint des saints, l’archétype du monde, le dernier terme des choses, pour lequel il ne serait point d’au-delà. Ce n’est pas davantage une raison pour instituer, en souveraine du Cosmos, l’entité métaphysique d’une énergie intra-atomique, qui serait la synthèse de toutes les autres. En savoir trop, comme le théologien, ou jamais assez, comme le savant lui-même, ne sont, après tout, que deux formes, deux aveux différents d’une limite de relativité. Le chercheur d’absolu, condamné à se débattre dans le cadre de ses relativités, poursuit vainement le mot suprême d’une formule d’infinité rebelle aux proportions de son entendement.

Le mot atome est ainsi apparu à trop de gens comme impliquant une impasse de connaissance positive par défaillance de nos moyens de procéder au delà. C’est ce que donnait à entendre le védisme quand il proclamait que tout ce qu’on peut dire de l’Existence universelle c’est qu’elle n’est « pas ceci, pas cela », sans que personne pût jamais être en mesure de dire ce qu’elle est. L’infiniment grand et l’infiniment petit, c’est tout un. Voyez Pascal. « Tourbillon astral ou atomique, on est aussitôt perdu dans l’un que dans l’autre ». Je n’ai point d’autre explication de l’univers que cette parole de limitation humaine : « Cela est ainsi ». L’énergie atomique ne détient pas plus de secrets que toute autre manifestation d’énergie. Je ne vois point de plus haut emploi de la vie que de chercher à reconnaître les enchaînements des formes de ce qui est, déterminées par les mouvements de leurs rapports. L’imagination prend le reste à son compte. Encore faut-il qu’elle se prête aux figurations de nos « réalités »[1].

  1. Je prie qu’on ne me classe pas « agnostique », parce que je reconnais que l’homme ne peut pas tout savoir. Nous pouvons connaître, c’est-à-dire classer des mouvements de rapports. « Nous pensons en relations, » déclare Herbert Spencer. Théologie et métaphysique ne peuvent être et ne sont que présomptueuses clameurs de nescience à bout d’infimité.