ces incessantes luttes de grandeurs et de défaillances confondues
qui nous ont fait notre civilisation.
Qu’est-ce que notre civilisation ?[1]
Le mot nous apparaît surtout
comme la contre-épreuve d’un temps de vie primitive que
nous sommes très fiers d’avoir dépassé. En des successions de
phénomènes qui nous échappent nécessairement, ce passage
d’insensibles transitions fut d’une inappréciable durée, tant
par l’impossibilité de fixer le point de départ que par l’impossibilité
de concevoir un point d’arrivée. C’est cette double circonstance
qui fait que chacun en parle si fort à son aise, et que
nul, en cette matière, n’est en état de faire autorité. Le phénomène
biologique est, cependant, au-dessus de toute contestation,
et puisque le Cosmos n’est qu’un enchaînement d’activités
continues, nous ne pouvons nous étonner que de l’amibe à
Newton la coordination s’impose et se dérobe en même temps.
Il n’en subsiste pas moins que des moments de ce passage peuvent s’opposer pour des comparaisons suggestives, et s’il est un point notable entre tous, après l’apparition de la vie, c’est bien celui où une lente succession d’évolutions mentales en vient à marquer un état général de sensibilité qui fait rétrospectivement contraste avec les humbles débuts d’une ébauche d’existence que trop de signes subsistants ne nous permettent pas de négliger. Sous le nom imprécis de « civilisation », nous désignons l’ensemble des phénomènes conjugués en des formes
- ↑ Le mot de civilisation n’était pas encore du temps de Bossuet. Le grand écrivain s’arrêtant au mot générateur « civilité », n’en a pas moins fortement fait apparaître la qualité des caractères que, dès les temps anciens, nos pères ont prétendu y attacher. « Le mot de civilité, dit-il, ne signifiait pas seulement, parmi les Grecs, la douceur et la déférence mutuelle qui rend les hommes sociables. L’homme civil n’était autre chose qu’un bon citoyen, qui se regarde toujours comme membre de l’État, se laisse conduire par les lois et conspire avec elles au bien public, sans rien entreprendre sur qui que ce soit.