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au soir de la pensée

mal auquel il est exposé, de la décision qui lui incombe. C’est l’alternative de ce choix, pratiquée selon les moyens de l’individu, qui reçoit le nom de liberté. Cette liberté fait vivre l’individu dans l’action d’une dignité qui le crée responsable. L’autorité d’État, concentration ou dilution d’une « tyrannie » (au sens ancien du mot) ouvertement modelée sur la puissance divine, tient fatalement la liberté de l’homme pour ennemie, et voilà engagée, dès les premiers jours, la lutte éternelle qui ne finira qu’avec l’humanité[1]. Née de nos bourdonnements d’insuffisances, il faut que notre liberté donne des résultats d’imperfection, à son tour, et nous savons assez qu’elle n’y manque pas. La faute serait de chercher un arbitrage de fixité quand l’évolution de l’individu le qualifie, de jour en jour, pour des activités nouvelles, et voudrait l’institution d’un pouvoir assez souple pour se délester graduellement des parties d’empirisme qui peuvent être allégées.

Mais le développement des activités humaines emportant toujours de nouvelles complexités de fonctions, commande, à tout moment, de nouvelles formes d’intervention sociale où l’exercice et l’abus de l’autorité la plus légitime sont si voisins l’un de l’autre qu’il peut être d’abord difficile de les distinguer. Mouvantes limites du droit et de l’arbitraire, au fur et à mesure des évolutions de l’individu. Le temps n’est plus des discussions métaphysiques sur l’accroissement ou la réduction du rôle légitime de l’autorité. L’évolution civilisatrice ne cesse d’impliquer des évolutions de besoins exigeant, de jour en jour, des adaptations nouvelles aussi bien de l’individu que des pouvoirs de coordination. D’où les dispositions contradictoires, et, cependant, simultanées, à réduire aussi bien qu’à étendre le domaine de l’autorité, c’est-à-dire de l’intervention publique dans les activités de l’individu. L’homme se mouvant selon les lois déterminées, les champs de forces du complexe social ne cessent de se déplacer : d’où les nuances, toujours changeantes, des rapports de l’autorité et de la liberté.

  1. On remarquera qu’il ne s’agit point ici de la liberté philosophique des organismes vivants, ni du déterminisme qui en conditionne l’activité. La question est simplement de savoir si l’homme, tel que le produit le Cosmos, peut être, ou non, abandonné aux mouvements naturels de son évolution particulière.