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La civilisation

suffit pas de discours, ni même de lois proclamées, pour obtenir ce résultat. Il y faudrait surtout le concours profond des bonnes volontés générales, plus promptes à se clamer qu’à traduire en actes les grands mots où nous répandons la superbe de nos activités. « Faites comme vous dites » est la parole la plus difficile à réaliser tout au fond de soi-même, sans s’arrêter aux déguisements communs que nous acceptons d’autrui, afin que l’acceptation d’autrui pour nos propres feintes nous soit retournée. Un indulgent accord de souriantes mascarades, où chacun apporte la complaisance de sa propre duperie pour un office de réciprocité. Gouvernement de soi-même, gouvernement d’autrui ce sont les mêmes simulations de généreux mensonges, où nous acceptons un payement de promesses pour ce que nous n’avons pas donné. Chacun d’en prendre son parti. L’intérêt général en est quitte pour attendre un billet de loterie dont le gros lot reste aux affiches des murailles. S’efforcer sans en attendre de récompense ne paraît pas avoir, pour la foule, un attrait suffisant.

Si chacun, quelque jour, arrive à se gouverner dans ses justes rapports, c’est qu’une évolution supérieure de l’homme se sera soudainement révélée — ce qui n’est peut-être pas une hypothèse à écarter. Jusque-là faudra-t-il s’en remettre à des accidents d’idéalisme réalisé ou à l’intervention de quelque génie. Par malheur, le génie, sur les marchés du monde, se paye quelquefois au delà de ce qu’il peut donner. Voyez Alexandre, César, Napoléon et l’héritage qu’ils nous ont laissé.

C’est ici le lieu de remarquer une fois de plus que nous exigeons du Cosmos une sportule de satisfactions personnelles qui ne nous est pas due. La création humaine d’une Providence universelle ouvrit, sans doute, dans le monde, un compte à notre profit. Mais à l’hypothétique guichet des suprêmes bienfaisances, nous n’aurons accès, parait-il, que dans l’autre vie. Nous avons cependant découvert que les réactions de la sensibilité, productrice de bonheur et de malheur parmi nous, n’entrent pas en ligne de compte dans les déterminations de l’univers. Les répercussions du plaisir et de la douleur ont peut-être un effet mathé-