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au soir de la pensée

L’an mil marquera la dernière déception des prophétisants. En tout cas, depuis ces jours, nos humains ont paru se résigner à vivre provisoirement dans les relativités du connu, à remplacer, dans une autre vie — qui, seule, serait « la vie » — par l’absolu de la connaissance dont la manifestation ne pourrait être que d’immobilité. Sur « la fin du monde » l’Église a dû se résigner au silence, tandis que sur les processus des phénomènes et les lignes directrices d’un devenir expérimental, des inductions de connaissances nous sont permises depuis l’extinction des bûchers.

Je parle de la connaissance positive, et non des prolongements d’émotivités ataviques dont les résistances s’attardent à la défigurer. A cet égard, les états successifs de sensibilités organiquement liées manifestent en nous l’opposition des arguments qui s’affrontent : le Moi du présent état de connaissance, et l’ancien Moi des méconnaissances ataviques, devenu Lui par des retentissements d’émotivités contradictoires. Entre les deux ménechmes, représentant le double aspect d’une même personnalité, il est inévitable que la conversation s’engage :

Lui. — Alors, c’est tout ce que vous pouvez nous offrir ? L’anéantissement de l’homme, au lieu de son apothéose ?

Moi. — Si j’avais le choix, peut-être aurais-je la faiblesse d’incliner pour l’apothéose, bien que nous puissions sortir grandis des épreuves de la vie terrestre, tandis qu’une félicité continue, trop souvent, amollit les courages. Toute l’affaire est de savoir si j’ai, ou non, le choix.

Lui. — Eh bien, ce choix, permettez que, pour mon compte, je me l’attribue. C’est, au moins, une chance à courir. Vous avez parlé d’une loterie de l’existence. Même s’il n’y a pas de tirage, j’aurai vécu d’espérance, et Pascal vous dira que ce n’est pas à négliger. Que me proposez-vous, d’autre part ? De m’efforcer pour le néant ? Consentez que je ne me trouve pas les dispositions nécessaires.

Moi. — Je ne vous propose rien, ne découvrant en nous rien qui permette à l’homme de se soustraire à sa destinée. S’agit-il de doctriner le monde à la mesure de nos aspirations, de nos rêves, de nos volontés, ou de chercher à le reconnaître dans les rapports de ses éléments, en vue de nous y accommoder ?

Lui. — C’est que je ne m’y accommode pas.