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au soir de la pensée

sommes pas libres de vouloir ignorer les rapports des choses qui s’offrent aux épreuves de notre sensibilité. Nous ne sommes pas libres d’imposer d’éphémères dénouements humains à l’indicible tragédie du monde dont l’argument est d’un devenir éternel. Pour les convenances passagères de nos émotivités, nous ne saurions prétendre échapper aux déterminations organiques dont nous sommes passagèrement le produit.

Les Providences successives ont définitivement failli à la mission de lumière qui leur fut assignée. Elles ne répondent plus aux besoins grandissants des intelligences évoluées, dont le nombre et la puissance de pénétration ne cessent d’exiger des garanties croissantes de positivité. Et, cependant, des accumulations de connaissances ne feront pas office d’une orientation de conscience aussi longtemps qu’elles ne seront pas d’accord avec nos assouplissements d’émotivités. Car c’est l’émotivité, non le syllogisme qui nous met en action. Qui donc s’est jamais rendu, dans la pratique, au seul effort d’un raisonnement construit selon les règles, sauf d’innocents écoliers ? N’est-ce pas une succession de mouvements émotifs, bien ou mal fondés, qui nous mène aux entreprises de la vie, que le raisonnement s’offrira pour justifier plus tard ? Hors du sentiment, la logique de l’école ne fut jamais que d’une virtuosité d’arpèges avec des prétentions à la symphonie.

Dans quelle direction aborder l’au-delà, sinon selon les lignes de l’en-deçà ? Point d’autre repère d’orientation. Réciproquement conditionnées, la vie et la mort se tiennent d’un lien infrangible. À l’échelle des mentalités communes, l’entreprise de nous mettre à notre place dans le cadre du monde ne demande rien de plus qu’une série méthodique d’observations coordonnées. Il a paru plus simple de décréter « l’âme » immuable, c’est-à-dire l’inconnu, pour expliquer l’homme, changeant, avant d’avoir essayé de le connaître. Et comme « l’âme », inconnue, ne peut être d’explication, nous finissons par où nous aurions dû commencer, en essayant de prendre acte du phénomène organique pour déterminer la fonction. Vienne donc la tentative caractéristique de l’intelligence humaine, consistant à nous situer cosmiquement pour vivre dans les activités d’une conscience expérimentale de ce qui est. Trop grand encore demeurera, pour un long temps, l’avantage de celui qui peut tout expliquer sans