Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
l’atome

siste l’avantage incomparable, pour chacun, de se trouver en état de tout « connaître » et de tout dire du monde sans aucun effort d’expérience, ni même d’intellectualité personnelle, tandis que nos malheureux hommes de science se cassent la tête aux bastions de l’inconnu. Dans cette confusion de tout, la Divinité remplit le précieux office de nous apporter l’universel mot de passe au service des ignorances noires : ou des méconnaissances embrumées. À l’autel, personne ne vient demander le secret de la matière ou de l’énergie, où l’on doit le supposer détenu. C’est assez du grossier mystère d’une langue morte pour une enfantine parure des émotions de l’incompréhensible substitué à l’inconnu. Des réponses d’imagination à tous les inutiles pourquoi, cependant que l’observation, honnie, épuise ses efforts aux vulgaires recherches des comment.

Mieux encore, l’origine, et la fin des choses, deux mots qui n’ont pas de sens aux termes de l’observation, vont se rejoindre dans la stupeur du fidèle, anxieux d’un monde fait pour l’espèce humaine, et condamné à « penser » avant d’avoir appris. Eh oui, il faut apprendre pour connaître, se résigner au doute douloureux, forcer les portes des phénomènes, alors que théologiquement, le simple doute est le crime par excellence, puni d’un châtiment d’éternité. Combien plus simple de répéter, en façon de machine, des mots dépourvus de toute signification positive, dont la magie nous sauve des séjours infernaux.

En cet état d’esprit, notre « progrès mental » a continué de maintenir Moïse au ministère de l’inconnaissable[1], c’est-à-dire dans les rudiments d’une culture faussée, car nous ne voyons pas qu’aucun prophète nous ait jamais recommandé l’effort d’une connaissance positive dont nul ne pouvait encore comprendre ni la nature, ni l’intérêt. Plus tard la cosmologie de Copernic, de Képler, de Galilée, a rectifié les erreurs du Dieu mosaïque, et après la cosmogonie de Laplace, et l’évolution de l’atome, une conception nous est offerte d’un régime cosmique qui s’enchaîne de la matière-énergie ultra-distendue de la nébuleuse à la condensation planétaire dont la mesure est inscrite dans les fastes

  1. Entre Moïse et Laplace, nous pourrions nous trouver aujourd’hui en état de choisir. Mais le courage des faibles ne peut se hausser jusque-là. Ils préfèrent prendre successivement parti pour l’un et pour l’autre, tour à tour. S’y reconnaisse qui pourra.