Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
au soir de la pensée

Déjà le redoutable écrit : « Vous qui entrez, laissez toute espérance. » Une seule réponse : Entrons.

Quoi ! Toujours des douleurs ! Des douleurs magnifiées jusqu’à l’impossible, sous la voûte prometteuse, sans le relâche d’un sommeil, sans même l’attente d’une fin ! Une implacoire qui ne finira pas. Encore, à certaines heures, la barbarie humaine se laisse-t-elle adoucir de fatigue, ou d’ennui. La barbarie divine, jamais. Il n’y a point de barque pour gagner un séjour charitable où l’indifférence d’en haut nous aurait oubliés.

N’ayant pas souhaité moins que l’impossible d’une félicité sans contre-partie, l’homme a voulu inscrire quelque chose de ses craintes aux portes verrouillées de l’inconnu. Sommé d’atteindre l’idéal, qu’en pourrait-il faire si le plus beau de l’idéal, voulait l’absence de réalisation, dans l’éternelle poursuite des anticipations d’un recul infini ? Abdiquer nos espérances ? Faut-il donc renoncer à l’orgueil de nous grandir terrestrement nous-mêmes de notre propre autorité ? Le champ magnétique d’une confiance en nous-mêmes, dont le meilleur s’emploie à demander le secours de la Divinité, ne peut produire qu’une stupeur d’inertie. Il faut l’opposition des résistances, toutes les formes d’une douleur des choses, pour le point d’appui de la grande envolée.

Au retour de la nuit infernale, l’audacieux pèlerin de la connaissance a retrouvé la voûte enchanteresse où flambent tous les tourbillons de l’incommensurable énergie, projetant, dans l’espace et dans la durée, toutes les tentations de connaître et de méconnaître, toutes les rencontres d’enthousiasmes et de désespérances, toutes les possibilités de joies ou de souffrances qui font l’heur et le malheur de notre destinée. Marcher à la plénitude de la vie ou s’en détourner, nous n’avons pas d’autre alternative. Marcher, c’est vouloir. À nous, donc, du monde moderne, de répondre à l’audacieux défi du poète du malheur par l’encouragement du mot d’ordre de la connaissance humaine : Vous, qui sortez de l’abîme, espérez.

Espérer, c’est vivre, c’est vouloir, selon la nature des choses, faire au lieu de bombiciner dans le vide d’un surnaturel inexprimable, inexprimé. De relais en relais s’offrent toutes les chances des éternels moments où l’interdépendance élémentaire est en train de produire de nouvelles compositions d’énergies