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Pourquoi ? Parce que le moment appartenait à l’oppression, que le cléricalisme tyrannisait la liberté : alors on se jette dans la mêlée, et broyé de souffrance immédiate, on dit à Jésus :


Ton dogme n’a rien fait pour le salut du monde.


Voire ! c’est de Jésus que date véritablement la lutte de l’idéal, de la paix et des faibles contre l’antiquité guerrière et féroce, alors représentée par le sanglant empire romain ; mais a-t-on le temps de peser froidement cela quand on se bat ? Pour juger l’ensemble des dix-neuf derniers siècles, il faut soigneusement discerner l’état général de tyrannie et de barbarie d’avant Jésus, puis mesurer impartialement le progrès de la civilisation depuis sa venue, malgré la persistance des antiques despotismes. Si, depuis le moyen-âge, les ministres catholiques ont abîmé la morale évangélique, celle-ci n’en est pas diminuée davantage que ne l’est le principe républicain livré à des mercenaires. Elle a fait à peu près son temps, soit ; il nous faut autre chose, c’est entendu ; mais le progrès humain, le vrai, date de Jésus. Alors ? Alors, l’homme de lavenir, qui ne veut plus du galiléen, va, plus loin cependant dans le passé, retrouver un autre idéal déjà choisi :


Ah ! quand nous reviendront les beaux temps de l’Hellade ?
.     .     .     .     .
Qui me transportera sous le ciel de l’Attique
Où les rêves de marbre étaient des vérités ?
Où, dans l’horizon bleu de la légende antique,
Les labeurs des héros fondaient les libertés !


Il préfère entre tout l’amour terrestre, au point qu’à cause de lui seul il ne repousse pas totalement l’Évangile :


Ô Jésus ! dans ton livre une page sereine
Te fera pardonner bien des torts expiés :
En repoussant le Dieu, nous gardons Madeleine
Dont les cheveux sacrés ont parfumé tes pieds.


Soit. Mais ces torts, sont-ils d’avoir réhabilité la femme, jusqu’à pardonner même à la femme adultère ? d’avoir tendu la main aux esclaves et de les avoir libérés ? d’avoir, par la patience et la douceur, eu raison de la force brutale, meurtrière ? Jésus, à côlé de paroles qu’exigeait son temps, est souvent, sinon le premier, du moins le plus grand de nos précurseurs démocratiques. Certes, maintenant que l’esprit de sacrifice n’est plus utile qu’aux oppresseurs, maintenant que le monde n’obéit plus qu’à l’égoïsme sous une forme hypocrite, sans nulle des grandeurs païennes, il faut la poigne d’un nouveau Moïse pour rétablir la justice et maintenir l’humanité, qui va rouler à l’abîme, sur une pente favorable où elle pourra achever tous ses siècles. Mais celle refonte sociale, qu’il nous faut désormais, empêche-t-elle de reconnaître que Jésus est la plus grande figure qu’ait produit et que produira jamais l’humanité ? Cela dit, je me sens plus d’aise à proclamer que nul, mieux que Ricard, n’a accentué, en poésie, avec tant de