« A Monsieur Paul de Musset.
« Dimanche, 10 avril 1859.
« Si tu avais pris, mon cher Paul, la peine de m’écrire pour me donner tes raisons, comme tu l’as fait dans ta lettre d’hier, je n’aurais pas été si vivement impressionnée de cette nouvelle inattendue, et je m’y serais probablement rendue, comme je le fais aujourd’hui. Puisque la chose est faite, et sans remède, je m’y soumets, tout en regrettant amèrement de n’en avoir rien su d’avance. Je trouve ta première partie brillante de style, d’intérêt et d’esprit ; on ne dira toujours pas de ceci que c’est ennuyeux, comme on l’a dit de l’autre. Les portraits sont de main de maître et d’une ressemblance vivante.
« Mais j’en reviens à mes inquiétudes. Je crois que tu te fais une foule d’ennemis irréconciliables. Tous ces personnages existent encore ; sous leurs sobriquets, ils ne pourront manquer de se reconnaître. D’ailleurs, la dame les y aidera. C’est là vraiment la plus forte objection que j’ai toujours eue pour cette publication qui, dans ma prévision, t’attirera une foule de désagréments. Si ce n’était cette crainte, je ne pourrais m’empêcher d’être électrisée par des pages si belles et si bien écrites. Il y en a plusieurs d’étonnantes ; mais si j’avais été consultée, je t’aurais engagé à ne pas oublier la scène étrange qui s’est passée entre elle et moi à l’occasion du départ pour l’Italie.
« Je t’ai raconté cent fois, qu’avant de partir, ton frère m’avait demandé mon consentement à ce triste voyage, et que je l’avais obstinément refusé ; enfin, voyant mon désespoir, il s’était jeté à mes genoux en me disant : « Ne pleure pas, ma mère. Si l’un de nous deux doit pleurer, ce ne sera pas toi. » Ce sont ses propres paroles. Tu comprends que je ne les ai jamais oubliées ; il s’en alla, après m’avoir rassurée, et déclara à la dame qu’il ne pouvait partir, qu’il ne pouvait affliger sa mère. Le bon fils ! Que fit cette femme ? A neuf heures du soir, elle prit un fiacre et se fit conduire à ma porte. On vint m’avertir que quelqu’un me demandait en bas ; je descendis, suivie d’un domestique et n’y comprenant rien. Je montai dans cette voiture, voyant une femme seule. C’était elle. Alors elle employa toute l’éloquence dont elle était maîtresse à me décider à lui confier mon fils, me