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Page:Cocteau - Le Coq et l’Arlequin.djvu/68

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dame était sincère ; elle croyait à une mystification.


À deux heures du matin, Stravinsky, Nijinsky, Diaghilew et moi, nous nous empilâmes dans un fiacre et nous nous fîmes conduire au Bois de Boulogne. On gardait le silence ; la nuit était fraîche et bonne. À une odeur d’acacia nous reconnûmes les premiers arbres. Arrivés aux lacs, Diaghilew matelassé d’opossum, se mit a marmotter en russe ; je sentais Stravinsky et Nijinsky attentifs, et comme le cocher allumait sa lanterne, je vis des larmes sur la figure de l’impresario, Il marmottait toujours, lentement, infatigablement.

— Qu’est-ce ? demandai-je.

— Du Pouchkine.

Il y eut encore un long silence, puis Diaghilew bredouilla encore une courte phrase, et l’émotion de mes deux voisins me parut si vive que je ne résistai pas à l’interrompre pour en connaître la cause.

— C’est difficile à traduire, dit Stravinsky, difficile en vérité ; trop russe… trop russe C’est à peu près : « Veux-tu faire un tour aux îles ? » Oui, c’est cela ; c’est très russe, parce que, comprends-tu, chez nous, on va au îles comme nous allons au Bois de Boulogne ce soir, et c’est en allant aux îles que nous avons imaginé le Sacre du Printemps.

Pour la première fois, on faisait allusion au scandale. Nous revînmes à l’aube. Vous n’imaginez pas la douceur et la nostalgie de ces hommes, et, quoi que Diaghilew ait pu faire dans la suite, je n’oublierai jamais, dans ce fiacre, sa grosse figure mouillée, récitant du Pouchkine au Bois de Boulogne.

C’est de ce fiacre que date notre véritable amitié avec Stravinsky. Il retournait en Suisse. Nous cor-